Un assistant technique (AT) est un employé (le plus souvent) d'une société d'ingénierie qui va intervenir pour le compte d'une entreprise (ou administration) cliente afin de l'aider dans ses activités de recherche et développement. Contrairement à un contrat de sous-traitance au forfait, l'assistance technique repose sur une obligation de moyens, et non de résultats : le fournisseur "vend" à son client l'intervention d'un personnel qualifié, en théorie adapté à son besoin, et non pas un produit fini. Selon le domaine concerné, l'expérience et la qualification de l'AT, il peut coûter de quelques centaines à quelques milliers (très rare) d'euros par jour à l'entreprise cliente.
Et de fait, l'assistant technique se retrouve intégré au quotidien à l'équipe R&D de son client, sans en être un salarié à part entière.
Qu'apporte le recours à l'assistance technique ?
- Elle permet d'avoir accès à une compétence ou une expertise ciblée que ne possède pas l'entreprise cliente et dont elle a besoin dans le cadre de la réalisation de son produit ou programme
- Elle amène une flexibilité en termes de ressources humaines : elle permet d'absorber certains pics de charge rapidement (démarrage rapide d'un programme) ou a contrario de compenser une baisse d'activité (annulation d'un programme, chute de CA...) sans recrutement ni licenciement. En effet elle est en théorie ponctuelle et temporaire.
Le risque juridique
En premier lieu, la relation qu'a un assistant technique vis-à-vis des équipes de son entreprise cliente n'est pas claire. N'étant pas employé statutaire, il n'a pas de relation hiérarchique avec ses collègues (et en particulier, le chef du service dans lequel il se trouve) et n'a donc en théorie pas d'ordre à recevoir d'eux : son travail doit être supervisé par son propre employeur, c'est-à-dire sa société d'ingénierie d'origine. Le code du travail est assez clair à ce sujet, la fourniture de main d'oeuvre pure et simple est interdite sauf dans le cas des sociétés de travail temporaire. "Prêter" de façon pure et simple un salarié à une autre entreprise relève du délit de marchandage (article 8231-1) :
« Toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application des dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail »Ainsi, la jurisprudence considère que lorsqu'un assistant technique travaille pour un seul client pendant plusieurs années, qu'il intervient uniquement dans les locaux du client et est soumis à ses horaires de travail, ou qu'il reçoit des instructions directes de ses clients sur ses tâches quotidiennes, il s'agit d'une "fausse sous-traitance". Les entreprises qui y ont recours s'exposent à des risques d'ordre juridique, à la fois au civil et au pénal.
Et bien sûr, dans un tel cas on s'interroge sur la plus-value de la société d'ingénierie, qui en tant qu'entreprise n'apporte rien, si ce n'est, initialement, le CV de son employé...on entend ainsi parfois le terme de "marchand de viande", quand le seul contact qu'a l'assistant technique avec sa société d'origine se fait avec le commercial qui gère le compte de son client. Pas terrible niveau gestion et évolution de carrière...
La perte de compétences
Mais ce n'est pas tout. En effet, l'effet le plus pervers est certainement la perte de compétences et d'autonomie que cela entraîne chez les entreprises clientes, et en ce qui nous concerne plus précisément chez nos fleurons de l'industrie de défense.
En effet, on a vu plus haut que l'AT pouvait permettre d'apporter ponctuellement un savoir ou un savoir-faire qui ne fait pas partie du "coeur de métier" de l'entreprise cliente, ou qui relève d'un secteur très spécialisé. Elle peut donc, idéalement, constituer une ouverture technologique et méthodologique vers l'extérieur, et compenser un turnover parfois trop faible, qui influe négativement sur l'acquisition de nouvelles compétences.
Mais quand on compte, au sein d'un même service, plus de 20, 30 ou même 50% d'assistants techniques au long cours, qui sont de fait, sans en avoir le statut, "employés" par leur client, on peut s'interroger sur la maîtrise des connaissances et l'autonomie de ce dernier. Peut-il réellement se passer de ces externes ? Quand on est dans une telle situation, peut-on encore considérer que l'activité concernée relève du "coeur métier" ? Et comment fait-on pour capitaliser sur leur travail, le réutiliser, l'enrichir, le packager en offre générique...?
On a vu, avec la crise, de grosses entreprises françaises interrompre brutalement leurs contrats d'assistance technique, leur permettant de lever très rapidement du cash, mais se retrouver ainsi dans l'impossibilité ou en très grande difficulté pour la poursuite de leur développement produit/programme.
Ceci est d'autant plus problématique que si l'entreprise ne conserve pas la maîtrise des savoirs et savoir-faire (ou ne se les approprie pas), ils risquent d'être perdus pour tout le monde dans la mesure où ce n'est pas le fournisseur qui "abandonne" ses salariés pendant des années qui va le faire.
Attention, comme déjà souligné ici, certaines sociétés d'ingénierie (celles dont le chiffre d'affaires ne repose pas que sur l'assistance technique, et qui au contraire interviennent souvent sur les lots entiers au forfait) excellent dans la capitalisation et la réutilisation des connaissances...au point d'ailleurs qu'elles peuvent parfois empiéter sur le périmètre "historique" des industriels de défense, notamment dans le domaine système et logiciel.
Mais pourquoi une telle situation ?
Loin de moi l'idée de faire ici de la politique, mais certains, pour expliquer l'ampleur du phénomène, parlent de la relative rigidité du marché du travail français, ou a contrario de l'abus de flexibilité de la part des industriels, qui se déchargent également par le biais de problèmes de ressources humaines sur une grosse partie de la population des cadres.
Une des conséquences, quoi qu'il en soit, est le relatif morcellement des compétences de R&D sur un marché très complexe constitué de gros et moins gros industriels, et d'une kyrielle de sociétés d'ingénierie au périmètre souvent flou et fluctuant. Et pour nos jeunes ingénieurs, s'il est de plus en plus difficile de rentrer directement chez un EADS, Dassault ou Thales, la porte de l'aéronautique/défense reste ouverte par le biais des prestataires de services, qui certes offrent moins d'avantages à leurs employés, si ce n'est parfois un meilleur salaire d'embauche (mais encore une fois, attention à l'évolution de carrière !).
Voir aussi :