Crédit : Defense Talk
C’est un véritable serpent de mer. La naissance du Rafale a posé une question pour l’avenir de l’aéronautique française : et si c’était le dernier chasseur de conception nationale ? Répondre oui à cette question, c’était écarter un possible chasseur de combat de cinquième génération conçu en France.
La cinquième génération, combien de divisions ? On citera très facilement le F-22 Raptor… Tout comme le F-117 et le (chimérique) F-35 du côté américain. Venant de Russie, l’ancien ( ?) grand n’est pas en reste avec la « tentative » de réalisation d’un chasseur pouvant être qualifié de cinquième génération. C’est le rôle du prototype T-50 de Sukhoï. Il faudra donc encore confirmer de quoi ce programme est capable. Et du côté chinois, un lecteur anonyme de ce blog nous signalait une tentative avec le « J-XX ». Il existe un « certain nombre » de photographies d’un appareil auquel l’on colle cette dénomination. En l’état des connaissances, il est difficile de certifier quoi que ce soit… Par contre, rappelons le « transfert » du programme israélien IAI Lavi vers la Chine dans les années 80 (après le refus américain qu’Israël développe ce programme). Un certain nombre de créations chinoises ont une parenté proche de ce transfert non-reconnu. Il serait intéressant de savoir si des chercheurs israéliens travaillent vraiment sur un chasseur furtif chinois… Tout comme il est difficile de ne pas évoquer quelques « black projects » encore secrets du côté du Shunk Works de Lockeed Martin.
Projet J-XX chinois, crédit inconnu
La cinquième génération
Elle fait suite à la très riche quatrième génération qui comprend différents niveaux selon les auteurs, les revues et le temps qui passe (on parle aussi bien de 4+, 4++ ou autre). La nouvelle génération doit prendre le pas sur l’ancienne avec de nouvelles capacités. Evoquons celles dont nous parlerons le moins : une meilleure intégration des senseurs ou fusion des données, des capacités de combat en réseau et la « super croisière ». Concernant les deux premières capacités, elles ne sont pas strictement exclusives à la nouvelle génération. D’où la diversité d’appréciation de ce qu’est un appareil de quatrième génération. Le Rafale est un bon exemple d’appareil de cette génération qui pratique la fusion des données et qui rend ainsi difficile son classement. La super croisière est la capacité pour un appareil à croiser à vitesse supersonique sans enclencher la post-combustion. Avec les F-22 et T-50 cela s’illustre par des réacteurs « lourds » (plus de 13 tonnes de poussée unitaire, presque le double du Rafale). Cette capacité uniquement mécanique ne nous (me) paraît pas déterminante. Si on considère la cinquième génération comme l’aboutissement des systèmes d’armes intégrés et le règle de l’électronique qui prend le pas sur la mécanique, cette capacité de super croisière est plutôt un rappel de la nécessité de disposer de plates-formes capables d’affronter le milieu aérien et ses défis. Et non pas de servir seulement à être un « ascenseur à ordinateur ». Toutefois, cette capacité n’est bien sûr pas inintéressante en pratique.
Par rapport à la génération précédente, l’évolution principale retenue pour qu’un appareil appartienne à cette catégorie est la « furtivité ». Pourquoi parler surtout de cela ? Plus haut, nous avons dit rapidement que l’évolution électronique des systèmes d’armes n’était pas cantonnée exclusivement à un système d’arme. Et tout simplement aussi parce que c’est la caractéristique la plus spectaculaire. C’est elle qui pousse à redessiner le fuselage de l’appareil. Et donc, dans l’imaginaire collectif, c’est ce qui illustre le mieux le passage d’une génération à l’autre. Pensez donc à la différence entre un escorteur d’escadre, une frégate furtive de première génération et la corvette Visby suédoise (qui constituerait la deuxième génération). Le Rafale n’est pas furtif à l’origine mais « discret ». C’est-à-dire qu’un soin particulier a été apporté à la conception de sa cellule et de son système de guerre électronique pour réduire sa signature et les risques qu’ils soient détectés. Mais pour être furtif, il convient de s’attacher à tenter de faire quasiment disparaître (et non pas seulement de réduire) trois signatures principales d’un aéronef :
la furtivité radar : diminuer la « surface équivalente radar » d’un appareil, c’est-à-dire ce qui apparaît sur un écran radar. Et rendre discret ou furtif le fonctionnement du système d’arme pour qu’il ne rende pas détectable l’appareil par son fonctionnement ;
la furtivité infrarouge (diminuer la signature infrarouge que laissent les réacteurs).
la furtivité électronique (que le système d’arme fonctionne sans se faire repérer ou qu’il participe à la disparition de l’appareil en le faisant disparaître de l’atmosphère électronique).
la discrétion acoustique sera à poser un jour. Pour le moment, les appareils qui se réclament de la cinquième génération tendent à avoir des réacteurs lourds (plus de 13 tonnes de poussée en moyenne). Il se posera peut être la question de les rendre discrets à l’oreille aussi. Ce n’est pas primordial pour un avion. Néanmoins, il peut être intéressant de relire le billet de JGP sur la furtivité des sous-marins qui passe par la furtivité acoustique.
Dès lors, à la seule définition, se distinguent deux axes principaux pour rendre (ou concevoir) un appareil furtif :
Disparaître de l’atmosphère électronique, tel est le leitmotiv des furtifs.
Le système d’annulation active
Il est courant de distinguer les appareils qui tentent l’enjeu de la furtivité par leur seule forme extérieure. Le résultat est spectaculaire en raison des formes non-conventionnelles que cela impose. Cependant, la furtivité pourrait aussi être obtenue par un système de brouillage électronique. Gilles Corlobé nous traduit la définition de l’annulation active donnée par Aviation Week :
La suppression active signifie d’empêcher un radar de détecter une cible en renvoyant un signal avec la même fréquence que le signal reçu, mais décalé précisément d’une demi-longueur d’onde. Résultat : l’énergie atteignant le radar n’a aucune fréquence et ne peut être détectée
L’article d’Aviation Week poursuit en rappelant la (ou l’une) des tentatives où se sont essayés les ingénieurs américains pour ajouter cet atout à la furtivité du B-2. Ce ne sont d’ailleurs pas les seules puisqu’il est prêté ici et là des tentatives aux Russes pour l’obtenir. Et sur beaucoup de lieu francophone on loue les travaux de Dassault Aviation et de Thalès pour développer cette technique, au point que certaines rumeurs se risquent à annoncer que le système ferait partie intégrante du SPECTRA depuis le standard F2.
L’article précité permet de recadrer le débat en laissant entendre que les avancées françaises seraient telles qu’elles justifieraient le financement d’un « démonstrateur » :
Le fait qu’un nouveau démonstrateur est envisagé, laisse supposer que la technologie pourrait ne pas avoir été à la hauteur la première fois [l’article fait référence aux capacités supposés du SPECTRA dans les années 90]. Mais comme la suppression active utilise de l’électronique et du traitement, cela pourrait avoir changé. MBDA et Thales, qui a absorbé Dassault Electronique et est maintenant chargé du développement de Spectra, ont depuis confirmé qu’ils travaillaient sur la suppression active pour les missiles
Dès lors, tout l’intérêt si la confirmation venait, serait de constater que la France pourrait être à la pointe d’un développement clef des technologies furtives. Un système de guerre électronique a l’avantage de laisser une certaine liberté sur la conception d’une cellule furtive. Ce travail étant par nature lourd et coûteux… Ce qui serait un terrible pied de nez face aux programmes américains (F-117, B-2, F-22 et F-35) et russe (PAK-FA ou T-50).
Petit commentaire hors du temps : la compétition aéronautique militaire de pointe se résumerait à trois acteurs (américain, russe et français) ? Ce serait la consécration d’une hiérarchie nouvelle (on ne vise presque personne).
Mais est-il possible de tout miser sur le seul aspect électronique de la furtivité, et donc de refuser de s’engager sur la création d’une cellule naturellement furtive ?
“French government is funding a demonstration of improved stealth technology for the Dassault Rafale fighter”, dixit Aviation Week.
D’ailleurs, rien ne dit ce que sera le « démonstrateur » Rafale, ni si la démonstration se limitera à la seule électronique…
Un Rafale aux formes furtives ?
Crédit inconnu
Dès lors, l’autre pendant de la furtivité serait de concevoir une cellule d’avion de chasse pour qu’elle réponde à ses exigences. Ce serait donc presque la nécessité de développer un appareil nouveau à l’image des F-22 ou T-50, dans l’hypothèse où l’annulation active ne donnerait pas un avantage supérieur ou égal à une machine furtive. Cependant, il n’est pas nécessaire de préciser qu’il est presque impossible de développer un nouveau chasseur français avant quelques longues années. On n’écrira pas l’une des raisons par respect pour nos lecteurs (le budget !). Mais si la France développe une solution intermédiaire dans la guerre électronique pour compenser cette impossibilité à lancer un programme d’avion de chasse de cinquième génération, n’existerait-il pas une solution intermédiaire pour adapter une cellule existante autant que possible ?
Il convient donc de présenter l’une des évolutions étudiées pour le F-15. Le vénérable chasseur américain (dont les Golden Eagle resteront en service jusqu’en 2030 comme le signale le blog des avions légendaires ) a été l’objet d’une étude de furtivité améliorée. Sous le doux nom de « Silent Eagle », il est question de rendre le F-15 plus furtif (ou discret). Quelles sont les solutions retenues par Boeing ?
(Photographie du Silent Eagle)
Credit: Boeing/Ron Bookout
Noter l’emport de missile dans les réservoirs conformes reconvertis en soute interne.
La solution la plus spectaculaire est la nouvelle utilisation des réservoirs conformes de l’Eagle. Ces deux réservoirs situés sous les ailes de l’avion sont destinés à l’origine à emporter du carburant supplémentaire. S’ils sont dit conformes c’est qu’ils sont étudiés pour être intégrés à cellule de l’appareil de manière à perturber au minimum la traînée aérodynamique de l’appareil. Ces réservoirs sont destinés à servir de soute interne. De sorte que, en configuration lisse, l’appareil présente moins de surface équivalente radar (SER) par l’emport interne des armements. Cette modification de la cellule s’accompagne d’une autre un peu moins spectaculaire. Les deux dérives du Silent Eagle sont inclinées de 15° vers l’extérieur. De cette manière le dessin de l’appareil se rapproche de celui du Raptor.
Enfin, les autres transformations seront plus proches de ce qui a été fait en France. L’une d’elles est l’utilisation d’un revêtement absorbant d’onde radar. Le Rafale est susceptible d’être peint avec une peinture ayant ce même rôle (à la manière du Tigre) mais l’appareil français n’en bénéficiera que pour les « grandes occasions ». Enfin, les dernières solutions concernent l’électronique avec un nouveau radar APG-63 et un système de guerre électronique qui tendent, peut être, à jouer le même rôle que le SPECTRA décrit plus haut.
Alors, tentons d’appliquer l’étude américaine au Rafale. Les travaux sur le SPECTRA et l’évolution du RBE2 vers l’AESA sont déjà en cours. L’existence d’une peinture furtive pour le Rafale permet d’avoir un point de départ vers un revêtement furtif (coûteux, à en juger par l’entretien de ce revêtement sur B-2 et F-22).
Il reste donc la question des modifications structurelles. La dérive verticale du Rafale pourrait peut être constituer un frein à la recherche de la furtivité. Mais c’est un élément isolable de la cellule. De sorte que, il soit imaginable de trouver une solution pour transformer cette dérive sans entraîner de modification structurelle impossible à réaliser.
(photo du Rafale avec CFT)
crédit : Burkharde Domke 2001
Noter la bosse à l’arrière du cockpit, à mi-chemin entre la jointure de l’aile et le dos du Rafale.
Et comment obtenir une configuration lisse du Rafale avec un emport en armement interne ? Le Rafale a vu se développer pour lui l’étude de deux réservoirs conformes dorsaux. Est-ce rédhibitoire ? Il est possible que non, certains avions ont vu l’étude de capacité de tir de missile accroché à leur dos, telle la revalorisation du Jaguar pour l’Inde. Il peut être imaginable donc de faire le même travail que Boeing mais sur les CFT [Conformal Fuel Tanks] dorsaux du Rafale. La solution peut paraître spectaculaire, mais elle ne le serait pas plus que pour le Silent Eagle. En réalité, c’est le côté non-conventionnel qui surprendra. D’ailleurs, pour revenir à plus conventionnel, il ne serait pas non plus déraisonnable de proposer la création d’un CFT ventral.
Recadrage des propositions pour conclure
La somme des propositions, en ses aspects techniques, a pour but de retenir les capacités d’annulation active développées en France et de les coupler à un travail accru de discrétion sur la cellule du Rafale. Il est donc tenté de se rapprocher de la furtivité par deux solutions que l’on qualifiera d’intermédiaires (en rappelant que l’annulation active semble être un défi technologique). L’intérêt de proposer la création d’un démonstrateur Rafale furtif est donc technique.
Il ne sera pas difficile de dire que l’Armée de l’Air (et la Marine) n’ont pas comme priorité de former un escadron ou deux flottilles avec un Rafale en version furtive. Il conviendra de dire donc qu’il faudrait prouver que ce Rafale furtif serait plus coûteux qu’un Rafale de base. En effet, les coûts de développement du SPECTRA et de la peinture furtive sont déjà engagés. On doutera que l’intégration des diverses solutions proposées soit démesurément coûteuse par rapport à une version classique du Rafale. L’évolution du Silent Eagle sera déterminante pour l’avenir de ce genre de solution intermédiaire. Ces deux appareils sont, d’une certaine manière, un essai pour atteindre la furtivité à moindre coût.
Mais c’est aussi un pari politique. Seuls les États-Unis et la Russie ont, aujourd’hui, développé des avions dits de cinquième génération (car furtifs). Si la France, même de manière symbolique, rejoignait ce club très fermé, elle en tirerait un avantage politique indéniable.
De plus, pour l’existence de l’industrie aéronautique militaire française ce serait un porte étendard flamboyant. Et permettrait à la France d’appuyer sa politique d’armement avec la symbolique d’appartenir aux grands. Et donc de bouleverser la hiérarchie mondiale comme l’ont fait les Russes avec le T-50… Et les Chinois qui pourraient créer la surprise avec le programme J-XX quand ils voudront bien révéler l’état de leurs capacités au monde…
Et élargissement à la sixième génération
Face aux difficultés de la cinquième génération, les Etats-Unis ne perdent pas leur temps et parlent déjà d’une « sixième génération ». C’est ce que relate sérieusement Joseph Henrotin dans cet article. Il est question de pousser encore plus la logique du règne de l’électronique dans cette génération. Mais la distinction avec la « précédente » n’est pas évidente comme le montre l’auteur. Et nous vous invitons à prendre connaissance aussi des points de vue tout aussi sérieux du site defensa.org qui relate l’affaire de la sixième génération avec une pointe d’humour.