Suite à ses articles sur le programme nEUROn et les UCAV dans l'aéronavale, Thibault Lamidel nous livre ici une petite réflexion sur le Rafale Marine biplace. Comme à l'accoutumée, ses propos n'engagent que lui.
Dans la dotation de Rafale marine il était prévu une version biplace. Ce choix fut fait suite aux enseignements passés (Kosovo par exemple) et la prise en compte de l'évolution du métier de pilote, la charge de ce dernier ne cessant de s'alourdir. Car désormais en plus de gérer un appareil en vol il faut gérer un système d'armes de plus en plus complet. La team Rafale essaye d'ailleurs d'y remédier par la mise au point d'une interface homme-machine simplifiée par le recours à la reconnaissance vocale. Pour la marine par contre, il était plus naturel de s'orienter vers un biplace.
De l'autre côté de la Manche, le retour aux porte-avions classiques était là pour poser la question de l'appareil embarqué. C'est tout naturel. Le choix fût fait de s'orienter vers le programme Joint Strike Fighter développé en partenariat avec les États-Unis et d'autres États. Entre retombées industrielles et rationalisation le choix finit par se porter sur la version "Harrier" du JSF : le F-35B. La Royal Navy étant appelée à mutualiser son parc avec celui de l'armée de l'air depuis la fusion, regrettée, de l'aéronavale avec la Royal Air Force.
Cependant, pour peu que l'on s'intéresse à la chose, le programme JSF est depuis toujours dans une mauvaise passe. Et c'est à la croisée d'un projet français avorté et de menace anglaise d'acheter du Rafale face aux déboires programme JSF que le Rafale N continue à nous hanter.
Du Rafale BM au Rafale N
Le projet débuta dès 1999. On nomma le biplace marine « Rafale BM ». Mais de façon paradoxale, la version finit par prendre le nom de « N ». De sorte que c'est le biplace qui est « N » et le monoplace « M ».
Le prototype devait prendre l'air en 2005. Il était prévu que le canon soit supprimé pour réaliser cette version biplace. La verrière devait être agrandie en même temps que le cockpit. Ce qui impliquait que ce qui se trouvait derrière le cockpit alors soit déplacé ailleurs. L'emport de carburant réduit de 215 kg pour perdre le poids nécessaire devait permettre de rester ainsi capable d'être catapulté comme un monoplace. On imaginait alors de répartir les 60 Rafale marine en 25 M et 35 N.
L'épreuve ratée de la bosse budgétaire
Mais le projet est arrêté le 22 septembre 2004, l'état-major de la marine ayant dû faire un choix face aux 270 millions d'euros de développement impliqués ; mais aussi au doublement du personnel nécessaire à la mise en oeuvre de l'appareil. En période de disette, le choix a été fait d'avoir 60 monoplaces plutôt que de réduire le nombre d'appareils. De plus les crédits ont fini par se concentrer sur la mise au point du Rafale F3 « Roadmap » pour l'export (E.A.U.).
L'histoire s'arrête là ?
Le Royaume-Uni pourrait être le sauveur de cette version mort-née : les citoyens de sa Gracieuse Majesté se sont engagés dans le programme JSF (Joint Strike Fighter). On l'a dit dans l'article sur le programme nEUROn, cet engagement est le fruit du partenariat spécial entre Américains et Anglais. Ce dernier contenant des accords signés entre les deux gouvernements pour le développement commun de technologies furtives. Ce qui excluait de rejoindre le nEUROn. Cependant, la version « Harrier » du JSF est dans une zone de turbulence profonde qui pousse à s’interroger sur son avenir.
Un petit mot sur le programme JSF
Les Etats-Unis, épaulés par le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, la Turquie, l’Australie, la Norvège, le Danemark, le Canada, Israël et Singapour sont les parties prenantes du programme Joint Strike Fighter. Il doit donner naissance à un avion de cinquième génération apte à prendre la relève des Harrier, F-16 et F-18 A/B, entres autres. Mais ce programme rencontre de lourdes difficultés depuis son lancement en 1996. Le prix unitaire ne cesse de grimper. Le nombre de commandes baisse inexorablement. Le programme s'étale. En somme, c'est une dérive généralisée. L'ambition (faire un F-22 au prix d'un F-16) y est sûrement pour quelque chose. Son origine aussi. Le JSF descend d'une grande lignée de programmes d'armement dont aucun n'a connu de fin réellement heureuse : sous-marin nucléaire d'attaque Seawolf (3 exemplaires), hélicoptère d'attaque Commanche (programme annulé), hélicoptère présidentiel (annulé), F-22 Raptor (187 exemplaires). Ces programmes ont été lancés, tous ou presque, à l’apogée de la lutte contre l’URSS. La technologie devant l'emporter face au nombre.
Le JSF qui doit donner naissance au F-35 est très lourdement discuté de l'Atlantique (USA, clients européens) au Pacifique (le Japon qui préférait le F-22, l'Australie de même).
Le Congrès américain a sauvé in extremis la version B (STOVL) en finançant la poursuite du développement de son réacteur spécifique. C'est cette dernière qui doit équiper les porte-avions britanniques. En son absence il reste la version C qui est plus classique (CATOBAR).
Cependant il existe un risque raisonnable que le programme n'aboutisse pas. Du moins, pas dans un temps raisonnable. Ses « ancêtres » accréditent cette hypothèse. Les 3000 commandes et quelques du programme JSF ne devant pas aveugler quant au manque de réussite de son développement.
Le Rafale N dans tout ça ?
Par deux fois il a été fait référence au Rafale en Angleterre. La première fois c'était en 2006 quand un journal britannique, le Financial Mail, avait prétendu que le gouvernement britannique s'intéressait au Rafale en lieu et place du JSF.
C'est donc une ouverture outre-manche qui a été faite au Rafale. Il existe donc l'hypothèse de pouvoir vendre le Rafale aux Anglais. L'accord pourrait être aisé en proposant à ces derniers de produire leur Rafale marine localement. Et même, de produire les Rafale marine français. L'occasion serait trop belle de reproposer le Rafale N pour équiper les deux marines.
Hypothèse farfelue ?
Peut être... Ou pas du tout. Cela l'est moins si le JSF continue à s'effondrer. La crise qui touche les forces armées britanniques est bien réelle. L'argument financier fera mouche. Il porte déjà d'ailleurs, la commande anglaise de F-35 ayant été ramenée de 150 à 132. Et ce serait même 50 aujourd'hui. L'argument capacitaire joue pour beaucoup aussi. Un nouveau « White paper » doit voir le jour au Royaume-Uni. Est-ce que la Royal Navy disposera d'un seul porte-avions ? Sera-ce un CATOBAR ? Cette hypothèse est sérieusement envisagée par les Anglais puisqu'elle a même était chiffrée à 1 milliards de livres pour la "refonte" (alors même que les navires ne sont pas encore construits).
Mais si jamais la Royal Navy disposait d'un seul porte-avions, CATOBAR qui plus est, elle aurait les mêmes problèmes que notre marine pour entretenir son outil. Le soutien mutuel passerait par une coopération cordiale. Alors, quid du Rafale dans ces différentes hypothèses ?
De l'autre côté de la Manche, le retour aux porte-avions classiques était là pour poser la question de l'appareil embarqué. C'est tout naturel. Le choix fût fait de s'orienter vers le programme Joint Strike Fighter développé en partenariat avec les États-Unis et d'autres États. Entre retombées industrielles et rationalisation le choix finit par se porter sur la version "Harrier" du JSF : le F-35B. La Royal Navy étant appelée à mutualiser son parc avec celui de l'armée de l'air depuis la fusion, regrettée, de l'aéronavale avec la Royal Air Force.
Cependant, pour peu que l'on s'intéresse à la chose, le programme JSF est depuis toujours dans une mauvaise passe. Et c'est à la croisée d'un projet français avorté et de menace anglaise d'acheter du Rafale face aux déboires programme JSF que le Rafale N continue à nous hanter.
Du Rafale BM au Rafale N
Le projet débuta dès 1999. On nomma le biplace marine « Rafale BM ». Mais de façon paradoxale, la version finit par prendre le nom de « N ». De sorte que c'est le biplace qui est « N » et le monoplace « M ».
Le prototype devait prendre l'air en 2005. Il était prévu que le canon soit supprimé pour réaliser cette version biplace. La verrière devait être agrandie en même temps que le cockpit. Ce qui impliquait que ce qui se trouvait derrière le cockpit alors soit déplacé ailleurs. L'emport de carburant réduit de 215 kg pour perdre le poids nécessaire devait permettre de rester ainsi capable d'être catapulté comme un monoplace. On imaginait alors de répartir les 60 Rafale marine en 25 M et 35 N.
L'épreuve ratée de la bosse budgétaire
Mais le projet est arrêté le 22 septembre 2004, l'état-major de la marine ayant dû faire un choix face aux 270 millions d'euros de développement impliqués ; mais aussi au doublement du personnel nécessaire à la mise en oeuvre de l'appareil. En période de disette, le choix a été fait d'avoir 60 monoplaces plutôt que de réduire le nombre d'appareils. De plus les crédits ont fini par se concentrer sur la mise au point du Rafale F3 « Roadmap » pour l'export (E.A.U.).
L'histoire s'arrête là ?
Le Royaume-Uni pourrait être le sauveur de cette version mort-née : les citoyens de sa Gracieuse Majesté se sont engagés dans le programme JSF (Joint Strike Fighter). On l'a dit dans l'article sur le programme nEUROn, cet engagement est le fruit du partenariat spécial entre Américains et Anglais. Ce dernier contenant des accords signés entre les deux gouvernements pour le développement commun de technologies furtives. Ce qui excluait de rejoindre le nEUROn. Cependant, la version « Harrier » du JSF est dans une zone de turbulence profonde qui pousse à s’interroger sur son avenir.
Un petit mot sur le programme JSF
Les Etats-Unis, épaulés par le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, la Turquie, l’Australie, la Norvège, le Danemark, le Canada, Israël et Singapour sont les parties prenantes du programme Joint Strike Fighter. Il doit donner naissance à un avion de cinquième génération apte à prendre la relève des Harrier, F-16 et F-18 A/B, entres autres. Mais ce programme rencontre de lourdes difficultés depuis son lancement en 1996. Le prix unitaire ne cesse de grimper. Le nombre de commandes baisse inexorablement. Le programme s'étale. En somme, c'est une dérive généralisée. L'ambition (faire un F-22 au prix d'un F-16) y est sûrement pour quelque chose. Son origine aussi. Le JSF descend d'une grande lignée de programmes d'armement dont aucun n'a connu de fin réellement heureuse : sous-marin nucléaire d'attaque Seawolf (3 exemplaires), hélicoptère d'attaque Commanche (programme annulé), hélicoptère présidentiel (annulé), F-22 Raptor (187 exemplaires). Ces programmes ont été lancés, tous ou presque, à l’apogée de la lutte contre l’URSS. La technologie devant l'emporter face au nombre.
Le JSF qui doit donner naissance au F-35 est très lourdement discuté de l'Atlantique (USA, clients européens) au Pacifique (le Japon qui préférait le F-22, l'Australie de même).
Le Congrès américain a sauvé in extremis la version B (STOVL) en finançant la poursuite du développement de son réacteur spécifique. C'est cette dernière qui doit équiper les porte-avions britanniques. En son absence il reste la version C qui est plus classique (CATOBAR).
Cependant il existe un risque raisonnable que le programme n'aboutisse pas. Du moins, pas dans un temps raisonnable. Ses « ancêtres » accréditent cette hypothèse. Les 3000 commandes et quelques du programme JSF ne devant pas aveugler quant au manque de réussite de son développement.
Le Rafale N dans tout ça ?
Par deux fois il a été fait référence au Rafale en Angleterre. La première fois c'était en 2006 quand un journal britannique, le Financial Mail, avait prétendu que le gouvernement britannique s'intéressait au Rafale en lieu et place du JSF.
BRITAIN may consider buying up to 150 French fighter jets for two new-generation aircraft carriers scheduled to go into service with the Royal Navy in 2013.Effet attendu, une bombe explosa dans la sphère médiatique et le MoD anglais démentit. Mais le démenti ne fut pas vraiment ferme. De sorte que la thèse d'un coup de semonce contre les Américains, face aux difficultés du JSF, était la plus crédible. Deuxième référence, l'ancien pilote de la patrouille acrobatique de la Royal Air Force, Peter Collins, fait l'éloge du Rafale dans la revue Flight International.
If the Government went ahead with the £5bn deal, it would mean cancelling existing US contracts to supply aircraft for the carriers and could cause a major crisis in Anglo-American relations.
The unexpected verbal offer to buy the Rafale Marine jets came on January 24 when Defence Secretary John Reid met his opposite number, Michele Alliot-Marie, for crucial talks in London.
It followed well publicised difficulties between Britain and America on the Joint Strike Fighter (JSF) project, dogged by a row over sharing technology.
The aircraft felt alive in my hands. I have never flown any aircraft that responded so instantly and so powerfully to stick input. The Mirage 2000 had previously been my favourite FBW aircraft in terms of handling qualities, but the Rafale with its DFCS betters it in every aspect of handling by a significant margin. […] At 450kt, the same steady-state roll rate was achieved, but the rate of roll onset was simply staggering. I have never experienced any fighter aircraft start or stop to roll so quickly. […] In close formation, I initially found the Rafale over-sensitive in pitch, but telemetry informed me that I was holding the sidestick too high up, and after changing my grip, I could hold echelon position without problem. However, it was another clear indication of just how agile the aircraft is. […] The aircraft can be flown in a “bang-bang” manner between axes, rather than requiring “rolling pulls”. The Rafale is an outstanding close-in dogfighter whenever it wants to be. […] I could not fault the carefree handling characteristics or the throttle response of the Rafale in any regime, and the only limit I ever had to remember in the flight was the gear limit (230kt). The Rafale was an absolute pleasure to fly, while remaining almost unbelievably responsive.La revue centenaire a une assise profonde dans le monde de l'aéronautique. La qualité du pilote, à la carrière très riche, qui se prononce, fait encore une fois l'effet d'une bombe. Quand on proclame que le Rafale est certainement le meilleur avion de sa génération, on ne pouvait pas attendre mieux.
C'est donc une ouverture outre-manche qui a été faite au Rafale. Il existe donc l'hypothèse de pouvoir vendre le Rafale aux Anglais. L'accord pourrait être aisé en proposant à ces derniers de produire leur Rafale marine localement. Et même, de produire les Rafale marine français. L'occasion serait trop belle de reproposer le Rafale N pour équiper les deux marines.
Hypothèse farfelue ?
Peut être... Ou pas du tout. Cela l'est moins si le JSF continue à s'effondrer. La crise qui touche les forces armées britanniques est bien réelle. L'argument financier fera mouche. Il porte déjà d'ailleurs, la commande anglaise de F-35 ayant été ramenée de 150 à 132. Et ce serait même 50 aujourd'hui. L'argument capacitaire joue pour beaucoup aussi. Un nouveau « White paper » doit voir le jour au Royaume-Uni. Est-ce que la Royal Navy disposera d'un seul porte-avions ? Sera-ce un CATOBAR ? Cette hypothèse est sérieusement envisagée par les Anglais puisqu'elle a même était chiffrée à 1 milliards de livres pour la "refonte" (alors même que les navires ne sont pas encore construits).
Mais si jamais la Royal Navy disposait d'un seul porte-avions, CATOBAR qui plus est, elle aurait les mêmes problèmes que notre marine pour entretenir son outil. Le soutien mutuel passerait par une coopération cordiale. Alors, quid du Rafale dans ces différentes hypothèses ?
3 commentaires:
Petite erreur sur l'illustration il me semble. C'est un super étendart et non un rafale sur la première image.
Merci de votre vigilance...petite erreur de copié-collé dans les liens et absence de relecture, pas très fier de moi sur ce coup-là
Dans la famille "quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt", je me permets de vous indiquer une correction à porter ici :
"Ces programmes ont été lancés, tous ou presque, à l’apogée de la lutte contre l’URSS. La technologie devant l'emporter face au nombre." juste au dessus de la photo du JSF.
Merci pour cet article très intéressant : si j'avais bien lu l'article de Flight International, je n'avais par contre pas perçu les atouts du rafale N et ce que nous (anglais et français) pouvions retirer d'une coopération. Merci pour votre éclairage.
Même si le tropisme atlantique atavique de l'Angleterre me fait fortement douter du passage à l'acte.
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