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mardi 20 avril 2010

Super Frelon : le Rafale avorté des hélicoptères ? Par Thibault Lamidel

A l'heure où les derniers exemplaires de cet hélicoptère pourraient finir par être (enfin) retirés du service, il convient peut être de se poser quelques questions. Notamment sur la manière dont sont gérés les programmes d'hélicoptères en France. Se replonger dans le passé n'est peut être pas une perte de temps. Le Tigre est arrivé, le NH90 va finir par arriver et un programme d'hélicoptère de transport lourd est sur le point d'être lancé. Sans oublier la création du Commandement Inter-armées pour les hélicoptères. Il convient aussi de se rappeler ce que tous (Sénat, Assemblée Nationale, Armées...) pointent : le déficit capacitaire de la France dans l'aéromobilité. D'où une certaine tendance à mutualiser tout ce qui peut l'être, comme les hélicoptères, pour tenter de glaner ici et là des heures de vols.

Et peut-être, je dis bien peut-être, y a-t-il eu quelques choix antérieurs sur le type d'aéronef à employer qui peuvent laisser sceptique.

Deux Super Frelon

crédits : maquettes-papier.net


« Ne pas rêver américain »


Ainsi a été relayée par le blog Secret Défense une partie de l'opinion du général Vincent Desportes (qui dirige la Bibliothèque Stratégique avec Hervé Coutau-Bégarie chez Economica). Le général pointait le processus d'interopérabilité en ce sens qu'il n'est qu'une forme de reconnaissance de la domination américaine. En effet, la norme à atteindre est toujours américaine (c'est un phénomène très courant en droit international, les américains acceptent facilement une norme juridique internationale quand c'est la leur).

Concernant notre sujet, nous avancerons que quitte à rêver américain, il faudrait retenir quelques solutions pragmatiques et en particulier des pratiques qui n'ont pas traversé l'Atlantique. Par exemple, une nouvelle version du CH53 Sea Stallion va être produite. La cellule existante a été revue et corrigée. C'est un phénomène qui s'observe aussi pour le Chinook ou d'autres voilures tournantes américaines. Plutôt que de relancer un programme de développement, il est plutôt courant de voir un processus de revalorisation de la machine ou sa cellule être revue de fond en comble pour l'améliorer. Ainsi nait une nouvelle version à partir d'un aéronef qui a fait ses preuves.


Le Rafale, un modèle


L'avion français est choisit comme modèle de référence dans le développement de l'inter-armes et comme l'un (non pas le seul, bien sûr) des appareils où l'électronique a pris le pas sur le reste des considérations techniques. Nous développerons dans un autre article ce point de vue qui est de dire que le Rafale est peut être le chasseur dont le développement est le plus significatif à l'aube du XXIe siècle. On ira jusqu'à dire que les américains, et les russes, ne sont pas arrivés à ce degré de "polyvalence" (ou modularité). Donc notre Rafale est la preuve même du passage de plusieurs corps d'armées monolithiques à une armée « interarmisée ». Il est autant développé pour l'Armée de l'Air que pour la Marine. De plus, c'est la maturité des systèmes électroniques qui permet la conception d'une machine, ou plutôt, d'une plate-forme unique pour l'aéronavale et l'Armée de l'Air. Le système d'arme du Rafale permet l'emport de munitions diversifiées, tant que le système est programmé pour. On passe donc d'un temps où l'avion était conçu autour d'un spectre de missions bien délimité (reconnaissance, attaque, chasse...) à un avion qui peut tout faire, ou presque. C'est le pilote qui devient la véritable limite de l'appareil (phénomène déjà constaté dans l'agilité des chasseurs, où le drone va plus loin que la contrainte physique du pilote). Glissons à cette occasion que face à la complexité, pardon, la richesse du système d'arme du Rafale il convient de se demander si l'aménagement de l'interface homme-machine n'est pas une priorité en soit (voir les développements sur l'interface à reconnaissance vocale). Et s'il est "humain" d'avoir privé l'aéronavale d'un biplace là où l'Armée de l'air s'est portée acquéreuse de 80% de biplaces pour sa commande. Le travail sur porte-avions étant déjà une contrainte à gérer.

Donc, ce mouvement exclurait, a priori, tout développement "cloisonné" de programmes. Les autres "armes" devront être associées si le programme peut intéresser leurs propres besoins. En soit, le développement d'un hélicoptère intéresse toutes les armées. Quelle que soit la raison, le besoin d'un hélicoptère lourd ne se limite pas par exemple à l'Armée de Terre ou aux commandos. Il est donc exclu que chaque arme ait son programme "personnel" désormais. L'intérêt de l'électronique est qu'elle permet la modularité nécessaire pour passer d'une mission à l'autre par l'ajout, ou le retrait, des équipements et armement nécessaire. Pour reprendre une thématique informatique barbare, c'est l'avènement du "plug and play". La limite encore actuelle c'est qu'une voilure tournante de sauvetage a besoin impérativement d'un treuil. Cette contrainte physique ne se résoudra pas par l'électronique. Mais nous sommes peut être à la veille de ces machines modulables physiquement et électroniquement.

D'ailleurs, il faut différencier la plate-forme modulable selon le type de mission, de la plate-forme de base construite selon le type de mission. C'est-à-dire, qu'il ne faut pas confondre la polyvalence du Rafale avec la diversification des différentes versions des Mirage 2000 ou des Sukhoï Su-27, voire des différentes versions du Puma.

Les Américains en rêvent de cette "modularité", essayent de sauter une génération mais le résultat est là, les programmes échouent les uns après les autres (penser au F35, on proposera un article s'il le faut pour argumenter sur un échec probable). La raison de cet échec est assez simple. Pour certains programmes c'est la trop grande ambition. C'est marier ce qui ne peut l'être, comme le successeur du Harrier et du F-16 (pour le F-35). Et en y rajoutant une contrainte qui est peut être mature techniquement mais pas en termes budgétaires : la furtivité. De plus, la modularité a un coût qui doit faire réfléchir. Cela nécessite des systèmes d'armes pointus donc des développements et des compétences complexes pour les concevoir, les entretenir. Le Rafale a un coût en lui-même qu'il faut contrebalancer par les économies qu'il doit apporter : la rationalisation des coûts induits par des plateformes différentes (entretien, modernisation, formation). Cette modularité "s'auto-finance" donc par ses capacités, ses économies apportées. Mais elle se fait aussi au détriment du nombre de plate-formes. C'est l'essence même de la polyvalence, faire mieux ou autant avec moins. C'est un exercice périlleux car il faut donc pouvoir distinguer si le Rafale apporte par sa polyvalence et si celui permet de compenser la diminution du nombre de plate-formes.

Le Rafale limite son ambition technique, contrairement à d'autres, mais c'est peut être cette modération rationnelle qui lui permettra de réussir ce qui peut l'être.


(Super-)Frelon et Puma


Le premier prototype du Super Frelon effectue son vol inaugural le 7 décembre 1962. Il est lui-même le successeur d'un hélicoptère mal conçu : le Frelon, qui n'a pas dépassé le stade du prototype. Pour sauver le programme on fait appel à Sikorsky et Fiat notamment. L'appareil finalement développé est un tri-turbines pesant 6,8 tonnes à vide et 13 maximum au décollage (pour 20 mètres, environ, de longueur de cellule). Il était initialement destiné à un besoin inter-armes, pour la Marine et l'Aviation Légère de l'Armée de l'Air. Pourtant, seule la Marine en recevra 27 exemplaires.

Le Puma quant à lui vole pour la première fois le 15 avril 1965. C'est un hélicoptère de manoeuvre qui jauge 3,6 tonnes à vide pour 7,4 tonnes au décollage et 14 mètres de longueur. Il était exclusivement conçu pour répondre à un cahier des charges de l'Armée de Terre.


Deux programmes éloignés ?


On ne peut que regretter que le Super Frelon n'ait pas fait l'objet d'un développement inter-armes. En effet, les Puma et Frelon sont-il différents ? Il y avait un besoin pour un « petit » hélicoptère de manoeuvre pour l'Alat, et un appareil plus grand pour la Marine. Les besoins étaient-ils incompatibles ? C'est l'Alat qui y répondra puisque la cellule du Puma ne cessera d'évoluer : Puma, Super Puma et Caracal pour ne citer que les versions militaires.

On regrettera cette dispersion des besoins des différentes armes. Les deux programmes auraient pu être rapprochés. C'est une pratique très courante dans l'histoire de l'aéronautique militaire américaine que l'exécutif force l'Us Air Force et l'Us Navy à un rapprochement des programmes jugés similaires.

C'est là que nous pourrions parler de Rafale des hélicoptères avortés. La forte capacité d'évolution d'une cellule base aurait permis de couvrir les besoins des trois armes.


Anachronismes


Effectivement, on en fait plusieurs dans un tel raisonnement. Le premier est que la vision inter-armes n'était pas développée dans les années 60. C'était même tout le contraire (et c'est peu de le dire).

De plus, on prend comme point de vue qu'il peut y avoir un besoin pour un hélicoptère lourd alors qu'il n'y a nulle trace de l'expression d'un tel besoin au moment de la conception des deux machines qui ont servi de cas d'étude. C'est un besoin actuel puisque plusieurs pays recherchent des hélicoptères dits lourds. Aujourd'hui c'est presque un lieu commun que la nécessité d'avoir un tel hélicoptère, c'est-à-dire un aéronef qui tend vers les 15 tonnes (EH101) ou 20 tonnes (CH53, voir 30 tonnes pour la version "Super Stallion").


Dans le temps présent


On regrette donc cette ignorance mutuelle entre les deux programmes. Les problèmes budgétaires aidant, c'est une attitude qui n'est plus censée se reproduire ?

L'affaire est intéressante quand on la relie à l'actualité. Le NH90 vient réaliser ce que les Puma et le Super Frelon n'ont pas fait en leur temps : un hélicoptère commun aux trois armes. Notre Rafale des hélicoptères donc. Mais il semblerait que l'on perde entre temps la capacité d'évolution de la famille. Il existe un besoin en France et en Allemagne pour un « hélicoptère lourd » (30 à 40 tonnes). Pourtant, aucune étude actuelle ne pointe un dérivé du NH90. Alors que, par exemple, la famille Sea Stallion américaine a permis de sortir deux types de versions : celles de 20 tonnes (max) et celles de 30 tonnes (33 tonnes max). La notion de cellule évolutive n'est manifestement pas jugé suffisante. Est-ce une bonne chose ? Il convient de s'interroger car le NH90 ne va-t-il pas pâtir de cet oubli de la nécessité de faire évoluer les cellules ?


Pour conclure


Le Super Frelon, un Rafale avorté ? Par l’historique du programme, on pourrait répondre que oui. Il aurait pu donner naissance à une gamme (unique) d’hélicoptère de transport des plus complètes. Et la famille Puma a montré que l’électronique n’était pas nécessaire pour constituer une famille de modèles à partir d’une cellule-base. Par contre, comme pour le Rafale, l’électronique facilite la polyvalence et l’usage inter-armes. De plus, par sa motorisation triturbine et son grand gabarit on pourrait penser qu’il aurait sûrement été possible d'en extrapoler une version courte (Alat). Et aujourd'hui, d'en tirer un hélicoptère lourd. Cette dernière option, c’est toute l’actualité du besoin exprimé à travers le programme d’Heavy Transport Helicopter que France et Allemagne conduisent en commun pour acquérir un hélicoptère lourd. D’ailleurs, notons aussi que cet hélicoptère lourd illustre un autre parallèle révélateur : le besoin d’avoir du « lourd ». Tel l’Armée de l’Air qui voulait un biréacteur lourd (depuis la fin du Vautour et le Mirage IV réservé à la seule dissuasion), l’Armée de Terre ressent ce besoin d’une lourde machine pour de grandes manœuvres. Du besoin à la conception, il existe bien un certain parallèle entre le Rafale et le Super Frelon. La différence étant le raté de la conduite interarmes. Aux États-Unis, c’est presque une tradition que de pousser les armes à regrouper leurs programmes, pour le meilleur (les nombreuses déclinaisons du Blackhawk ou du Stallion) et pour le pire (les ratés du F-111 par exemple). L’interarmes est donc aussi une difficulté. Rappelons que le Rafale réussit à peu près ce savant compromis de l’interarmisation des forces.

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