Alors que le Pentagone pourrait avoir à réduire son budget de près de 450 milliards de dollars dans les dix prochaines années, les industriels de défense américains s’inquiètent pour leurs débouchés. Et certains anticipent une phase de consolidation après une décennie d’explosion du nombre des fournisseurs américains dans le domaine des services.
L’heure est grave. Les defense contractors n’apprécient pas les nouvelles orientations de l’administration américaine en ce qui concerne les achats d’armements, et ils le font savoir.
Dans une lettre commune à Leon Panetta, patron du DoD, une centaine d’entreprises, sous la coordination de l’Aerospace Industries Association, le pressent de renoncer aux changements qu’il promeut dans les pratiques de contractualisation : transfert de risques sur elles dans le cadre de développement d’armes, pression sur les marges, suspension de certains programmes si le fournisseur de se soumet pas à la nouvelle politique. En cette période de budget très contraint, même pour les Etats-Unis, certains analystes affirment que les pouvoirs publics de l’Oncle Sam se sont lancés dans la « guerre du profit ».
Les industriels insistent sur le fait que le modèle actuel de répartition du risque financier est pour beaucoup dans le leadership technologique des Etats-Unis, et se montrent pessimistes (pour eux) sur les impacts des changements proposés :
The department's proposed changes to this model will have significant competitive, financial, and employment implications (especially for small- and medium-sized suppliers) that we do not believe have been fully considered by the government or by the Congress
En face, Shay Assad, responsable de la politique achat et pricing du DoD, nie toute mauvaise intention ou changement radical, en précisant qu’il ne s’agit que de favoriser la concurrence et de motiver les industriels à diminuer leur structure de coûts, mais en maintenant un niveau de profit acceptable pour eux. Il se veut rassurant face aux investisseurs :
We don't want situations where we're asking companies to take an unreasonable risk. The idea that there is a new policy going on here, it's just not true.
Il reconnaît cependant que la Defense Contract Management Agency connait une petite révolution, notamment au travers de l’embauche de 350 experts des achats. Ceci a permis la mise en œuvre d’une base de données assez complète destinée aux responsables de programmes, et leur donnant une vision précise de a structure des coûts de l’ensemble des fournisseurs du Pentagone. Et donc de ce que devrait être le « coût réel » d’un programme. Ce qui finalement n’est qu’une remise à niveau par rapport aux standards en vigueur dans la plupart des directions achats du secteur privé… et la base de toute négociation sérieuse.
Ceci ne suffit pas à rassurer une industrie, habituée à un client public fort dispendieux, qui s’inquiète pour son avenir à moyen terme. Si les débouchés immédiats sont sécurisés (les budgets étant largement calés à aujourd’hui), ce n’est pas le cas au-delà de quelques années :
With the current budget set and next year’s “largely established,” contractors are “about 21 / 2 years away from any real impact,” said Mark DeYoung, president and chief executive of ATK, which specializes in producing ammunition and rockets. “Beyond that, there’s a lot of uncertainty. . . so I won’t try to predict what happens 21 / 2 years from now.”
D’autant que le Pentagone (sacrilège !) veut injecter plus de concurrence parmi ses fournisseurs, qui selon Mark Skinner, adjoint militaire du patron des achats de l’US Navy, est le principal levier d’optimisation des coûts :
We have a big hammer, which is competition, and then we have a teeny-weeny screwdriver, which is award fees
Face à cet état de fait, certains (mais c’est le cas dans tous les secteurs, donc pas vraiment un scoop !) ont commencé à réduire leurs frais de structure et leurs fonctions support. Mais la recherche de nouveaux marchés se fait également pressante. Le mois dernier j’évoquais dans ces colonnes l’attrait (plus vraiment nouveau) pour le cyberespace (Le cyberespace, nouvel Eldorado des industriels de défense ?), domaine très prometteur, même s’il n’est pas a priori à lui seul à même de compenser des réductions de coûts annoncées.
Les analystes de Booz Allen Hamilton estiment qu’une part importante de la base industrielle de défense pourrait disparaître, car une part importante des dépenses se déplacent des investissements en R&D vers des services et du soutien pour des systèmes et plateformes existants.
Military investment spending on new acquisitions and R&D is expected to decline from a high of US$253 billion in 2008 to a projected $125 billion in 2016. With backlogs continuing to erode, underinvestment in R&D threatens to create a hollow industrial base lacking the essential capabilities to develop innovative technologies and build new weapons systems
Ce qui déplace les cibles potentielles vers les petits fournisseurs de services. Le rapport «Structure and Dynamics of the U.S. Federal Services Industrial Base 2000-2010 » du Center for Strategic and International Studies publié en novembre 2011 montre clairement que les services ont prospéré depuis le début des années 2000, aidés en cela par les budgets dédiés aux opérations en Afghanistan et en Irak. Ainsi les fournisseurs de services du Pentagone sont passés de 60 000 à 157 000 (dont 115 000 PME) entre 2000 et 2010. Sachant que le Top 5 (Lockheed Martin, Northrop Grumman, Boeing, Raytheon, General Dynamics) pesait environ 20% des quelques 200 milliards du gâteau global en 2010. Il est intéressant de noter que les 3 premiers, tels que nous les connaissons aujourd’hui, sont issus de rapprochements post Guerre Froide, d’ailleurs sur la chaude recommandation du DoD, qui à l’époque (mais ils étaient alors surtout des constructeurs et équipementiers) leur prédisait une alternative simple, la consolidation ou la mort :
- Northrop a fusionné avec Grumman
- MCDonnell Douglas a intégré Boeing
- GE Aerospace est devenu une partie de Martin Marietta, plus tard intégré à Lockheed Martin
Le paysage dans le domaine des services est aujourd’hui très éclaté, avec un très grand nombre de tous petits contrats, conclus et réalisés localement. Et la tentation est forte aujourd’hui, pour les contractors de rang 1, de récupérer en interne tout ce pan du marché qui leur échappe. Hors du fait de leurs frais de structure, ils ont du mal à être compétitifs sur les tous petits engagements : 75% des fournisseurs sur les contrats à moins de 25k$ sont des PME. D’où la tentation des géants de procéder à une concentration capitalistique, moyen pour eux d’éviter la concurrence…