Article déjà publié sur Alliance Géostratégique
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En cette période de forte tension budgétaire sur la défense, y compris aux États-Unis, les grands industriels du monde militaire, cherchant à sécuriser leurs débouchés et trouver de nouveaux relais de croissance, privilégient de plus en plus les technologies duales. C’est donc tout naturellement qu’ils se penchent sérieusement sur le cyber (mais également, dans un tout autre genre, sur le marché de l’énergie, comme le fait DCNS).
En témoignent les rachats, depuis quelques années, de nombreuses sociétés spécialisées par les EADS, Raytheon, BAE Systems, Lockheed Martin ou General Dynamics (voir notamment Les industriels de l’armement se tournent vers la cyberguerre).
Boeing, est, du moins en termes de marché (et pas nécessairement de capacités), un peu en retard sur ses pairs dans le domaine. L’annonce de ses résultats du troisième trimestre 2011, alors qu’elle a naturellement accordé une place importante à l’aviation commerciale, n’a quasiment pas fait état du cyber. Il monte cependant en puissance avec l’acquisition récente de plusieurs acteurs comme eXMeritus(échange sécurisé de données) et Narus (supervision de réseau), et vient d’ailleurs d’inaugurer en grande pompe un nouveau « Cyber Engagement Center ». Hasard ou coïncidence, il se trouve à une centaine de mètres de la NSA, à Fort Meade. Sa fonction première sera (avec deux autres centres déjà existants) d’assurer la sécurité du propre réseau de Boeing, l’un des plus étendus au monde, avec près de 250 000 utilisateurs répartis dans le monde. Comme celui d’autres entreprises de défense (19 entreprises de défense piratées), il est mis à rude épreuve, notamment par la faute d’utilisateurs négligents. Mais il s’agira également d’offrir une vitrine pour les clients gouvernementaux ou étrangers sur ses activités de cybersécurité, et d’aider au développements de nouveaux produits.
Comme l’indique John Hinshaw, patron de Boeing Information Solutions :
The risks to industry and government cyber security grow every second of every day. We’ve established this center to work collaboratively with our customers to help defend their critical infrastructure — as well as our own.
Si les analyses estiment les investissement américains à venir dans le cyber à plusieurs dizaines de milliards de dollars, pas sûr cependant que cela compense les coupes attendues, qui pourraient atteindre le trillion de dollars dans la décennie qui vient, comme l’indique Dennis Duilenburg, patron de la branche défense de Boeing :
D’un point de vue opérationnel, du point de vue de la productivité, nous partons du principe que ce scénario du pire va arriver. Nous adoptons notre structure de coûts pour faire face à une réduction du budget de 1.000 milliards de dollars
Et on sent la nervosité des defense contractors aux Etats-Unis, face aux nouvelles stratégies d’acquisition de la puissance publique, qui cherche la compétitivité prix (voir par exemple US firms said considering skipping Army truck bids). En tout état de cause, la stratégie d’appui sur un mix dual militaire-civil est plus que jamais d’actualité (La tentation du civil des fleurons du militaire) afin de compenser les décalages de cycle dans les deux univers. Si l’on continue sur le cas de Boeing, alors qu’il y a environ cinq ans, la répartition était de l’ordre de 60-40 en faveur du militaire, aujourd’hui elle se situe autour du 50-50. La balance devrait pencher du côté civil dans les années à venir, notamment par le biais de la croissance des marchés commerciaux (non militaires) en Asie. Ce n’est pas pour rien que le 1000ème Boeing 777 est en cours de construction.
Le terme de « point d’inflexion » évoquée par les dirigeants de Boeing pour leur activité est certes excessif, car le cyber occupe encore une place réduite dans leur chiffre d’affaires et dans leurs investissements. Il est entendu que les technologies de l’information sont montées en puissance depuis longtemps au sein de leur offre (équipements et systèmes militaires et civils), aidées en cela par la vogue du Network Centric Warfare. Il est évident que la Transformation n’a pas porté tous les fruits espérés en termes de revenus, suite notamment à l’annulation de nombreux programmes ces dernières années. Mais alors que l’impression d’insécurité informatique s’accroît (voir par exemple la Global Information Security Survey menée par Ernst & Young), se dresse devant les industriels de l’armement un marché d’envergure mondiale, bien supérieur aux seules dépenses américaines (sur le seul segment du logiciel, il s’élève en 2010 à environ 16 G$). D’autant plus que de nombreuses voix appellent à plus de coopération entre acteurs privés et publics, y compris au sein du DoD :
The Internet has fueled advancements and opportunities in business, medicine and other spheres, said Army Gen. Keith B. Alexander, commander of U.S. Cyber Command and director of the National Security Agency on Fort Meade, Md.. However, he added, protecting networks from information theft or attack by hackers is a big job.
“When you look at the vulnerabilities that we face in this area, it’s extraordinary,” Alexander said. Government and commercial networks worldwide have experienced repeated assault by hackers over the past several years, he noted.
“What we see is a disturbing trend, from exploitation to disruption to destruction,” Alexander said.
DOD views cyberspace as a domain such as air, land, sea and space, the general said. New and better ways must be developed in partnership with private industry to defend the nation’s military and commercial information networks, he said.
Cependant, attention, car les structures de marchés diffèrent fortement de ceux auxquels il sont habitués, notamment en ce qui concerne la durée de vie des produits (obsolescence extrêmement rapide) et le time-to-market nécessaire pour répondre de façon réactive aux nouvelles menaces. Ce qui fait dire, de façon excessive (mais c’est parce que sa connaissance du cyberespace reste apparemment superficielle et « idéalisée »), à l’analyste financier Byron Callan, qu’il existe une opposition entre l’approche industrielle et commerciale actuelle des industriels de la défense et celle qui est nécessaire pour réussir dans le cyber :
I think cyber is still a business that gets down to individuals, as opposed to plants and facilities. It’s always a hard market. It’s not the same as visiting a factory. That’s why you talk about intellectual prowess in cyber.
Toujours est-il que la partie risque d’être acharnée, sur un secteur très éclaté et concurrentiel, face aux acteurs « traditionnels » du domaine, qu’ils soient éditeurs de logiciels, constructeurs ou prestataires de services. Ces derniers comptent bien lutter avec leurs propres armes, même s’ils n’ont pas toujours la puissance de feu des grands industriels de l’armement.
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