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mercredi 2 février 2011

La guéguerre du général Desportes

C'est un fait, Vincent Desportes est un agitateur d'idées dans la sphère stratégique française. Ce fut d'ailleurs pour cela qu'il fut le premier invité des Cafés Stratégiques de l'Alliance Géostratégique (voir le compte-rendu du café sur la pensée stratégique française du 7 octobre 2010).



L'allié Mars Attaque rend compte d'un article du général (2s) publié dans le Figaro, intitulé Ne craignons plus le terme "guerre". Disons-le tout de suite, il est évident qu'en France et en Europe on a eu tendance à évacuer le terme "guerre" depuis belle lurette, notamment grâce (car c'est bien sûr une bénédiction) à l'absence de conflit armé sur notre sol (mais pas à nos portes) depuis des décennies.

C'est l'un des points que je développe dans ma contribution à l'ouvrage Les guerres low-cost : il faut cependant arrêter de se cacher derrière son petit doigt et appeler un chat un chat. Oui, le conflit en Afghanistan est bien une guerre : la France est donc bien en guerre, même s'il s'agit d'une guerre limitée. Nous ne pouvons pas nous bercer d'illusions kantiennes, sous peine, comme certains l'affirment déjà (j'y reviendrai très prochainement), de sortir de l'Histoire. Il est par ailleurs évident que le soft power pur que semble privilégier l'UE ne sera pas suffisant face aux défis du XXIème siècle, alors que d'autres, comme la plus qu'émergente Chine promeuvent la guerre hors limites et la montée en puissance "dans toutes les directions stratégiques". Bref, la "pause stratégique", pour reprendre l'expression de Michel Goya dans Res Militaris, De l'emploi des forces armées au XXIème siècle (un ouvrage incontournable) est néfaste.

Cependant il me semble que faire de la guerre un prisme de lecture omniprésent (pour reprendre les mots du général : " "guerre contre le terrorisme", où la dissymétrie peine contre l'asymétrie; "guerre économique", utilisant l'arme de la monnaie pour conquérir de nouveaux marchés, usant de l'espionnage industriel organisé par les États ou les grands groupes, faisant du commerce international un véritable "combat"; "cyberguerre" désorganisant les marchés financiers ou perçant les secrets de défense les mieux gardés; "guerre de l'information" pour manipuler la psychologie des marchés et des foules; "guerres virtuelles", univers des adolescents accrochés à leurs consoles; "guerres des banlieues", avec de véritables embuscades militaires "), une grille d'analyse incontournable, revient à tomber dans l'excès inverse.

Tout phénomène économique, concurrentiel, social, criminel ou délictuel n'est pas du ressort de la guerre. Un tel amalgame a à mon sens trois effets contre-productifs :
  • il transforme la recherche de compétitivité, de sécurité ou de bien-être en posture paranoïaque ou l'autre est toujours un ennemi -mortel- potentiel
  • il galvaude plus qu'il ne "réhabilite" le terme de guerre, ce qui fait manquer son but à la tribune de Desportes
  • plus important, le nivellement qu'il introduit empêche, ou du moins ne facilite pas, l'établissement d'une stratégique exhaustive mais rationnelle
Attention, si une vision du monde actuel comme un jeu à somme nulle est bien sûr simpliste, cela ne signifie pas pour autant que toutes les issues, pour continuer dans la théorie des jeux, soient toujours positives pour l'ensemble des parties prenantes, du simple fait que la plupart des joueurs essaient d'établir leurs propres règles, qui deviennent un enjeu fort des relations internationales, et un facteur de montée des tensions, entre "blocs" antagonistes. Pour parler plus simplement, non l'histoire n'est pas finie, non il n'est pas dit que la guerre limitée soit le modèle prédominant à moyen ou long terme. L'accès aux ressources, la recherche de débouchés, que l'on le veuille ou non, nécessitent dans un monde changeant et fini une certaine dose de hard power, et la volonté sans faille de s'en servie si besoin impérieux (que l'on espère pas voir venir) s'en fait sentir.

Bref, la guerre pour l'économie, que je distingue de la "guerre économique", notion beaucoup plus vague, n'a certainement pas dit son dernier mot (lire à ce propos De Hong Kong au Pirée, de la guerre pour l'économie à la guerre économique ?). Et contrairement à ce que professent les tenants de la géoéconomie, la fin des conflits territoriaux n'est pas acquise.

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1 commentaire:

F. de St V. a dit…

Quelques remarques à la volée :

Pour disserter, reprenons la définition du terme de "guerre". A minima, cette continuation de la politique par d'autres moyens divers qui se concrétise en une dialectique des volontés.

Ce qui permet de raccrocher cette définition à différentes réalités très diverses, dès lors que nos esprits sont un minimum dépollués par des représentations archétypes.

Mais, oui il y a aussi danger de l'employer à tort et à travers car on risque de "désacraliser" certaines réalités et de minimiser le coût de la vie parfois en jeu au cours d'une guerre.

J'ajoute une lapalissade sans doute, mais il y a une vraie différence entre guerre économique du ressort principalement des entreprises et la guerre pour l'économie plus orchestrée par les Etats.

Mais, il y a encore du débat et de la construction intellectuelle à faire autour de ces expressions.