Ce dimanche 13 juin 2010 fut un peu particulier. Nos compatriotes européens de Belgique ont voté pour renouveler leur « Chambre » et Sénat. Depuis plusieurs décennies, ces élections se font dans un climat toujours plus tendu. La cause indépendantiste flamande a encore progressé : le premier parti flamand sorti des urnes est indépendantiste.
L’hypothèse d’étude dans le présent article est bien sûr que la Belgique serait condamnée. Ces élections étant peut être le signe du début d’une fin définitive. Et donc, quid de l’avenir de l’armée belge en cas de partage entre deux « Etats » ? Peut-on s’appuyer sur d’autres exemples européens pour déterminer des « critères » de partage ? La France y gagnerait-elle ?
Tension communautaire belge de 1830 à 2010
Mowag Piranha IIIC ; crédit inconnu
Présentons une vision simplifiée du « problème belge ». C’est le fruit d’un revirement historique. La Belgique a été créée pour couper la France de la mer du Nord et la priver du port d’Anvers, notamment, Dunkerque étant historiquement un problème suffisamment lourd pour les Anglais. Ce nouvel Etat se construit paradoxalement sur une société francophone et très francophile. Cette « revanche » de la défaite de 1815 ne sera pas sans conséquence. La partie « hollandaise » du pays n’apprécie guère la prééminence du fait francophone qui, d’ailleurs, est mené sans ménagement vis-à-vis des néerlandophones. Attitude très jacobine ? Quoi qu’il en soit, le « mouvement flamand » prend son essor. Et il va prendre sa revanche à un moment charnière : quand les bassins houillers se vident. La Wallonie, historiquement riche financièrement et démographiquement, engage mal le tournant de la fin du charbon (entre autres). C’est tout le contraire de la Flandre qui négocie bien l’après charbon. Auparavant moquée par la Wallonie, riche et nombreuse, elle devient à son tour riche et nombreuse alors que la première s’appauvrit. La Flandre prend conscience de cet état de fait et de son statut de « Dragon », pourrait-on dire aujourd’hui. Germe donc l’idée d’une Flandre indépendante, à l’image de l'Écosse. La persistance des problèmes économiques et démographiques wallons, la continuité de la réussite flamande font prospérer ce projet. Vous connaissez la suite, ou presque. La cause indépendantiste flamande ne cesse de progresser. Ce dimanche 13 juin, les partis « pro-indépendance » ont obtenu une large victoire en Flandres. 40%, environ, de l’électorat flamand s’est prononcé pour des partis soutenant officiellement l’indépendance.
De Gaulle
"Si un jour une autorité politique représentative de la Wallonie s'adressait officiellement à la France, ce jour-là de grand cœur nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité"
Cette phrase du général de Gaulle prend d’autant plus de sens aujourd’hui que la fracture belge s’accentue. Elle semble suivre un parallélisme troublant avec la disparition de la Tchécoslovaquie. Toutefois, JGP me fait rigoureusement rappeler que les deux histoires ne se sont pas produites dans les mêmes circonstances. La séparation tchécoslovaque « s’est faite beaucoup plus rapidement après la fin du rideau de fer » dixit l’hôte du blogue.
Mais avant de trop spéculer, il faut attendre deux conditions : que la Belgique disparaisse bel et bien, et qu’une autorité politique représentative de la Wallonie fasse une demande. Après, il conviendra d’envisager une hypothèse : que dans la « montée aux extrêmes », la Wallonie devienne une région française à statut transitoire (pour régler toutes les questions « inédites » pour intégrer cette région).
Pour aller plus loin, deux liens sur des groupes d’études de l'intégration de la Wallonie à la France :
La Flandre dans la désintégration
Il serait d’ailleurs temps de s’interroger sur une chose : la Flandre, indépendante ou rattachée aux Pays-Bas ? La chose n’est pas évidente car les opinions évoluent assez vite selon les circonstances.
Les sondages passés de la population hollandaise font émerger deux choses : premièrement, la chute de la Belgique n’est pas d’une probabilité crédible. Mais en cas de chute, presque la moitié des personnes interrogés se prononcent pour l’annexion de la Flandre à son voisin du nord. La chose serait intéressante pour les Pays-Bas : ils franchiraient la barre des 20 millions d’habitants dans l’Union Européenne, et ce n’est pas rien de peser plus dans les institutions communautaires. Enfin, il semble que les Flamands soient appréciés des néerlandais. A voir donc, et il serait intéressant d’avoir de nouveaux sondages.
Mais il reste aussi l’option que la Flandre reste indépendante. C’est plus obscur car une partie de l’extrême-droite flamande s’inscrit dans le projet de leurs confrères hollandais de « Grand Pays-Bas » (Groote Nederland). Seulement, il faut garder à l’esprit une chose. Il existe aussi un fort mouvement européen pour la promotion de territoires ayant une réussite économique insolente. Souvenez-vous donc de l’aspiration écossaise à l’indépendance, mise en panne par la crise. Ou encore, des mouvements autonomistes espagnols. Le Tigre irlandais a fait des petits ici et là. Il était l’exemple d’un petit état qui réussit. Et certains lucides peuvent se dire que son modèle n’est pas condamné par la crise et ses conséquences.
Le partage des forces armées et armements dépendra donc de la forme future des deux régions, de leurs perspectives d’indépendance ou d’adhésion à un autre Etat. Et dans la perspective d’indépendance, y aura-t-il volonté de constituer une armée ? Et de quelle ampleur ?
Armée belge
Pandur II ; crédit : inconnu
L’Armée belge n’a cessé d’être réduite après la guerre froide, réforme après réforme. A un tel point que l’on peut légitimement se demander si c’était seulement motivé par le gain financier ou par l’affaiblissement une institution « nationale ». JGP me recommande cet article de Joseph Henrotin : « Comment 20 ans de désinvestissement ont abouti au pire échec de l’Armée belge depuis 1940 ». Je vous invite à sa lecture pour apprécier la conséquences des diverses réformes belges pour gagner en « efficacité ». Et faire quelques parallèles avec les réformes en France. Ce qui reste de l’Armée belge aujourd’hui est structuré en « composantes » (terme technique et aride qui vide une institution de ses traditions ?). Les principaux matériels par composante sont :
Composante Terre : une soixantaine de Pandur ; environ 220 ATF Dingo (remplace une partie des M-113) ; 440 Iveco VTLM Lince et trois tranches de 246 Piranha III en commande (remplace le reste de M-113, les AIFV-B et les Léopard 1A5E (Mowag, producteur du Piranha a été racheté par General Dynamics))
C’est un petit inventaire des principaux matériels. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que certains d’entre eux seraient une chance pour la Défense française ! On pense d’abord aux onze C-130H qui permettraient à l’Armée de l’Air de pouvoir respirer en résolvant, en partie, le manque d’aéromobilité.
Vue du Léopold 1er avec son nouveau mât ; crédits : THALES NEDERLAND
Qui récupérera les frégates ? Un lecteur nous fait remarquer que seule la Flandre a une façade maritime.
Mais avant toutes prétentions, il faut partager. Et vous aurez bien compris que si la Wallonie s’inscrivait dans une démarche de rattachement à la France, alors l’Armée française se ferait sûrement pressante pour que le Quai d’Orsay influence le résultat du partage entre Flandre et Wallonie. Et pour que cette dernière choisisse plutôt tel ou tel matériel.
Les cas Tchécoslovaque et Yougoslave : quelques critères de partage futur de l’Armée belge ?
Le « divorce de velours » entre Tchèques et Slovaques s’est fait par un partage des dettes en deux options différentes : soit en fonction de la localisation d’actif matériel comme les armements (critère géographique), soit un partage du patrimoine en fonction d’un ratio de « 2/3 » (naturellement motivé par la différence de population : critère démographique).
L’Armée Fédérale Yougoslave, quant à elle, était composée majoritairement de Serbes, ce qui assurait presque une garde « ethnique » unique sur les armements de la défunte république. Les piteuses guerres qui ont accompagné l’implosion de la Yougoslavie ont peu permis d’y voir clair dans le partage des armements. Celui-ci s’étant fait entre diverses guérillas et l’armée Yougoslave sur fonds de combats. La dernière conséquence en date, et bien identifiable, est la fin définitive de la Yougoslavie, quand Serbie et Monténégro se sont séparés. La Serbie, privée de façade maritime, n’avait aucun intérêt à conserver la flotte. C’est donc le Monténégro qui l’a récupérée, mais sans les moyens de la faire prospérer.
Tout dépendrait donc de la localisation des armes, et de la « nationalité » de leurs servants. Et aussi de la volonté de détenir ou non des armements.
Le cas particulier des F-16 : la France, enfin, dans le club ?
F-16 belge ; crédit : SIRPA Air
Les F-16 belges sont supérieurs en certains points aux chasseurs français. Notamment du fait de leur interopérabilité avec les alliés de l’OTAN en Afghanistan. Le pod « Sniper » en est le principal argument. Néanmoins, outre ce dernier, sont-ils supérieurs à tous nos avions ? Qu’ils dépassent tout ou partie de nos Mirage, cela ne serait pas tellement étonnant. Il faudrait pouvoir revenir en détail sur la modernisation de milieu de vie (MLU) qu’ont subie certains de ces appareils. Mais la question est très intéressante puisque les F-16 pourraient permettre de moderniser rapidement une partie de l’Armée de l’Air. C’est un peu la même problématique que les Mirage 2000-9. D’autant plus qu’ils seraient « livrés » avec leur personnel.
Mais les États-Unis laisserait-il faire cette récupération ? Est-elle seulement possible ?
Il ne serait pas inintéressant de récupérer quelques F-16 pour maintenir un dispositif aérien transitoire. L’intégration du ciel wallon dans le dispositif français ne se fera pas du jour au lendemain. L’une des options serait de garder une base aérienne, désormais wallonne, ouverte. Il ne faut pas oublier qu’on n’a pas les moyens de placer un escadron Rafale sur une telle base. A-t-on seulement les moyens d’y placer un escadron français même existant ? Et même, est-ce bien nécessaire ?
Dans un souci plus « stratégique », il ne serait pas étonnant, mais alors pas du tout, qu’un échantillon d’appareils soit récupéré. Autant pour combler quelques petits vides capacitaires français que par nécessité de les « tester en vol ». C’est peut être « machiavélique » mais il faudrait se préparer à en voir une partie rejoindre Cazaux (formation) et Mont-de-Marsan (étude technique). Et voir quelques industriels « privés » tourner autour de ces machines. Et quelque temps plus tard, la France rejoindrait le club des pays pouvant fournir des modernisations de F-16. Connaissant le parc existant, le marché est loin d’être négligeable. Mais encore une fois, peut-on croire que les américains laisseraient quelques unes de leurs productions, même en partie démodées, se faire étudier à la loupe chez un de leurs concurrents ?
Mais, alors, ce serait avec beaucoup de « si », la France rejoindrait le club des nations opérant le F-16, ce qui serait une petite ironie de l’Histoire. Puisque Mirage et Rafale combattent lourdement ce concurrent sur le marché export. Ce sera peut-être d’ailleurs un atout de poids pour le contrer. Mais il faudra éviter bien sûr que le F-16 ne puisse prendre une place importante dans le dispositif aérien français. Pour éviter la menace d’offrir quelques moyens de pressions à nos « amis » de Washington. Tout comme ces derniers n’apprécieraient pas que leurs F-16 finissent en banc d’essai volant. Il n’est bien sûr pas envisageable que les machines ainsi récupérées prennent une place prépondérante au détriment du Rafale (à l’image du problème des Mirage 2000-9). Mais sait-on jamais ?
La Base Industrielle et Technologique de Défense : vers un nouveau FAMAS ?
FN Herstal Scar ; crédit : inconnu
Ce serait presque la cerise sur le gâteau de notre hypothèse. Une entreprise et une seule permettrait à la France de retrouver son « rang » sur un segment où elle semblait condamnée à disparaître : les armes légères. La Fabrique Nationale d’armes de Herstal se trouve à côté de Liège… En Wallonie ! Mais ce n’est pas suffisant que l’entreprise soit sur un sol possiblement français. Il faudrait en avoir la garde capitalistique. Pour rappel, l’entreprise était la propriété de GIAT Industrie en 1997. Avant que la firme soit reprise par la Région wallone qui est majoritaire au capital désormais. Cela ne s’invente pas. La célèbre firme internationale, à la réputation bien faite et au carnet de commandes bien rempli serait un atout évident. Dans le cas d’une intégration de la Wallonie, la France pourrait récupérer cette entreprise.
Notre « Mamouth » à nous, celui de la Défense, nous rapporté récemment dans un billet que l’Armée française testait différents fusils d’assaut pour compléter ou remplacer la dotation en FAMAS. Si l’entreprise devenait française, il serait logique et naturel que la France favorise « sa » Base Industrielle et Technologique de Défense.
Et la France se réimposerait dans ce segment qui reste essentiel dans les armées (et polices) du monde entier. A l’heure du lancement du programme Scorpion et de la réalisation du programme Félin, la prise de possession de cette entreprise et d’une de ses armes (le Scar) comme fer de lance de notre armée serait un atout évident pour la réussite et la cohésion de l’ensemble !
Décidément, cela ne s’invente pas !
Éventualité de la disparition de la Belgique : impact sur la Défense française ?
C-130H belge ; crédit : « Blackjack » (Flyfan forum), airshow de Melsbroek le 14 septembre 2008
Les C-130 H et A-109 (aéromobilité), frégates et chasseurs de mines belges (manque de patrouilleurs et de frégates), Piranha III (en attendant le VBCI et face à l’obsolescence du VAB) et la FN (lacune industrielle comblée) pourraient venir combler quelques obsolescences de la Défense française actuelle. Globalement, ces matériels aideraient à assurer une transition difficile en ces temps de crise. Mais, sous la réserve judicieuse de JGP : « les coûts d’intégration de la Wallonie dans son ensemble auraient un ordre de grandeur bien supérieur à tout ce qu’on peut discuter au niveau armement, et seraient pris en charge sur de nombreuses années » (dur souvenir de l’ex-RDA ou de la crainte Coréenne du coût de la réunification. Mais la Wallonie n’est pas dans si mauvais état qu’un ex-État soviétique ou assimilé).
Acquérir ces armements, même partiellement, serait un sursaut de crédibilité et de viabilité de l’outil de Défense français qui est encore et toujours menacé par la « Crise ». Serait-ce plus coûteux cependant d’avoir à défendre un plus grand territoire ? La défense belge disparaissant, « l’héritage » sera adapté aux besoins français. Ce qui veut dire que s’il y a trop d’armement ou pas assez, le gain ou la perte affectera la Défense française. Vu le Livre blanc, vu les orientations stratégiques actuels, normalement nous ne devrions pas dépenser plus pour la Défense de cet éventuel nouveau territoire. Nous n’avons pas à craindre le Nord de l’Europe. Donc la proportion de force affectée à la défense de la Wallonie restera modeste. D’autant plus que le territoire n’est pas si grand.
D’ailleurs, une partie des matériels récupérés pourraient être vite revendus. Le programme VBCI est à peu près lancé. Mais le programme de remplacement du VAB se fait désirer. Donc une partie de la dot serait très certainement vite cédée. Il ne faudrait pas faire de l’ombre à nos propres productions. Le risque étant que ces matériels ne deviennent un frein à la tenue des programmes. Il faudra éviter la tentation de reporter des programmes actuels de la Défense française en prétextant qu’un lot de matériel belge pourrait repousser l’échéance de quelques années. Ce sera une lourde tentation à combattre. Il faudra se méfier du gain à court terme qui ne devra pas hypothéquer la viabilité à long terme. Et tenir compte de la présence américaine dans l’armée belge au travers du F-16 et du Piranha III (depuis le rachat de Mowag), ce n’est pas l’un des moindres détails !
La dissolution de la Belgique, et de son armée aurait un impact sur la Défense française sous certaines conditions : que la Wallonie veuille rejoindre la France et assurer sa sécurité par l’Armée française. Et que la Wallonie ait récupéré une partie des armements de l’Armée belge. Sachant qu’il faudra mettre en balance l’avantage présenté par ce qui aura été éventuellement récupéré. Et le coût de l’intégration d’une nouvelle région. Y compris l’adaptation du dispositif militaire français.
C’est un problème très ouvert, plutôt complexe. Mais ce n’est pas un luxe d’y réfléchir avant qu’une surprise se produise. C’est normalement la fonction « Anticipation et Connaissance » de notre Livre blanc.