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samedi 14 août 2010

Il y a guerre limitée et guerre limitée

J'ai récemment cité à deux reprises l'Histoire de la guerre du britannique John Keegan (Les six formes majeures de l'organisation militaire et Clausewitz, père de la Grande Guerre ?). Je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de cet ouvrage, qui se lit assez facilement et qui dresse un panorama plutôt complet depuis la préhistoire jusqu'au milieu du XXème siècle, en passant par Sumer, l'Assyrie, les Égyptiens, les peuples de la steppe, les Grecs, les Romains, les Arabes ou les Polynésiens, même si je suis un peu réservé sur ses développements relatifs à Clausewitz.



En voici les dernières phrases, qui résonnent d'un écho particulier à la lumière du thème de février dernier de l'AGS, les "guerres low cost" :

Le monde, plus que jamais, a besoin de guerriers habiles et disciplinés, prêts à se mettre au servie de la communauté. De tels guerriers peuvent être considérés à juste titre comme les protecteurs de la civilisation et non comme ses ennemis. Mais leur manière de combattre - contre les racismes, les seigneurs de guerre locaux, les idéologies inflexibles, les pillards et le crime international organisé - ne peut s'inspirer exclusivement du modèle occidental.

Ceux qui sont destinés à l'avenir à construire la paix et à veiller sur elle ont beaucoup à apprendre d'autres cultures militaires, pas seulement issues de l'Orient mais aussi des peuples primitifs. Il y a de la sagesse dans les principes de restriction intellectuelle et même dans les rituels symboliques qui méritent d'être redécouverts. Il y a une sagesse encore plus grande à nier que la politique et la guerre appartiennent au même continuum. Si nous ne le faisons pas, notre avenir, comme celui des habitants de l'île de Pâques, pourrait ne plus appartenir qu'à des hommes aux mains tâchées de sang.


L'historien militaire appelle ainsi de ses vœux une philosophie de la guerre limitée, s'écartant de la montée aux extrêmes et de la guerre totale qu'ont connues les affrontements européens et mondiaux au cours du XXème siècle. Ces lignes ont été écrites au début des années 1990, à l'époque de la "fin de l'histoire", quand la configuration de la Guerre Froide étaient encore le paradigme du conflit majeur. Elles font bien entendu référence à l'approche occidentale de la guerre, fortement influencée par Clausewitz (au point que certains n'hésitent pas à lui mettre les deux guerres mondiales sur le dos) et faite d'engagement militaire et national total.

Depuis, on est bien entendu passé à la prédominance (si l'on reste dans les conflits ouverts) de la guerre contre le terrorisme et de la contre-insurrection, par essence "limitée", mais pas exactement dans le sens que Keegan développe. En effet, la "restriction intellectuelle" et les "rituels symboliques" supposent que l'ennemi accepte une règle du jeu commune, ce qui est notamment le cas dans les exemples des peuples "primitifs" (Yanomamö, Maring) ou des conflits internes aux peuples de la steppe (mais également, de façon assez surprenante, chez les Grecs adeptes du choc brutal) qu'il développe dans l'ouvrage cité ci-dessus. Mais dans le cas qui nous intéresse, il ne peut en être question, de par la radicalité de l'opposition même entre les parties prenantes et l'asymétrie totale qui est le fondement même du conflit. (Plus largement, on voit bien que le droit et la guerre - jus ad bellum ou jus in bello -, malgré les progrès relatifs de ces dernières décennies, ne font pas bon ménage, même entre "civilisés").

Par contre, il est évident que l'engagement militaire en lui-même se doit d'être "limité" du côté des forces conventionnelles et intégré à une approche plus large (la "comprehensive strategy" des Américains) mêlant diplomatie, développement économique et plus largement soft power. Car l'adversaire, dans ce cas, n'est pas puissant à proportion de son nombre de divisions. Et que par ailleurs, il ne saurait être question de considérer la population locale comme ennemie, mais au contraire comme un allié à protéger et à convaincre.

Même si, comme l'a démontré Gian Gentile (Les mythes de la contre-insurrection et leurs dangers : une vision critique de l'US Army), il ne faut pas surestimer dans les conflits asymétriques passés et présents les actions de "conquête des coeurs et des esprits".

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