J'ai déjà évoqué ici l'irritation que provoquait chez Aron l'opinion exprimée notamment par Liddell Hart selon laquelle Clausewitz, en suscitant l'offensive à outrance, était en partie responsable du carnage de la Première Guerre Mondiale (Sur Clausewitz de Raymon Aron).
L'historien John Keegan, dans le premier tome de son Histoire de la guerre, va plus loin, et fait du stratège prussien le "père" de la Der des Ders :
Au début de juillet 1914, quatre millions d'Européens se retrouvèrent sous les drapeaux ; à la fin du mois d'août, ils étaient 20 millions, et plusieurs dizaines de milliers d'entre eux avaient déjà été tués. La société guerrière, jusque là enfouie, avait jailli à la surface d'un paysage de paix, et ses soldats allaient se faire la guerre jusqu'à ce que, quatre ans plus tard, ils fussent à bout de force. Et, bien que l'on ne puisse lui en attribuer toute la responsabilité, nous sommes néanmoins en droit de considérer Clausewitz comme le père spirituel de la Première Guerre mondiale, tout comme l'on peut considérer Marx comme le père spirituel de la révolution russe. L'idéologie de la "guerre absolue" fut celle des armées de la Première Guerre mondiale, et le terrifiant destin qu'elle allait leur apporter est peut-être un legs posthume de Clausewitz.
Au-delà de cette considération, Keegan est particulièrement critique vis-à-vis de la fameuse formule "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens", soulignant notamment que la culture (donnant l'exemple des Zoulous, des Polynésiens, des Janissaires, des Mamelouks, des samouraïs mais également des Balkans) joue un rôle plus fondamental que ladite politique dans l'explication des guerres ; reprochant de fait à Clausewitz un eurocentrisme coupable.
Je n'ai lu que cet Histoire de la Guerre de Keegan, mais l'impression que j'en ai là comme ça est que :
- il n'a pas lu Clausewitz en entier : assez drôle, car justement Raymond Aron dans son Sur Clausewitz, peste contre ceux qui s'attardent uniquement sur la célèbre citation, qui sont pour lui avant tout des gens n'ayant pas été très loin dans leur étude de l'ouvrage du Prussien
- il adopte, même s'il cite Aristote, une définition réductrice voire simpliste de la "politique", tombant lui-même dans le panneau de l'eurocentrisme
Pour autant son Histoire de la Guerre n'en reste pas moins extrêmement intéressant, ne serait-ce que pour les très nombreux exemples historiques, pas toujours les plus développés par les autres auteurs, qu'il y présente.
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