"Serious game" peut donc être considéré comme un buzzword, au même titre que (pour rester dans la sphère technologique) Web 2.0, SOA, "réseaux sociaux" ou "univers virtuel". Plus généralement, "synergie", "proactif", "B2B", "mondialisation", "outside the box" sont souvent entendus dans les réunions d'affaires. La liste est quasiment infinie, et se renouvelle sans cesse...
Le monde de la défense raffole de ces buzzwords, expressions très "marketing" recouvrant souvent des notions aux contours évanescents et parfois fourre-tout, que tout le monde se met à utiliser d'un coup, très fréquemment sans en maîtriser le sens. Les intentions de ceux qui "inventent" et promeuvent ces expressions sont bien entendu rarement neutres, même si leur création peut parfois leur échapper. C'est souvent le cas des locutions du jargon technologique, récupérées par les sociologues, les publicitaires, les futuristes...
Comme dans la sphère politique, l'usage de tels termes dans le monde militaire répond souvent à un besoin d'euphémisation. Mais après tout, c'est normal, puisque la guerre est un concept politique.
Ainsi on a vu fleurir plus ou moins récemment la liste suivante, où se mélangent des concepts, des slogans, des termes marketing :
- la Guerre Propre
- le Zéro Mort
- une frappe chirurgicale
- les dommages collatéraux
- les munitions intelligentes
- Network Centric Warfare
- War on Terror
- ...
Ces expressions, qui ne sont pas purement de l'argot ou du jargon militaire à usage interne, sont principalement utilisées à des fins de communication vers des interlocuteurs non militaires (notamment les 4 premiers cités). Au vu de l'importance de l'image (voir mon article sur le sujet) dans la guerre d'aujourd'hui, renforcé par le fait que les populations du monde entier sont abreuvées d'informations provenant de sources diverses, difficiles à contrôler, il est important pour la force militaire et politique de promouvoir (à juste titre ou non) une vision positive de ses actions. Ceci passe donc nécessairement par une volonté de masquer le sang, la chair et les larmes, pour faire de la guerre (au moins en surface) une notion aseptisée, presqu'aussi ludique qu'un "serious game" et modélisable par des chiffres.
L'édulcoration va bien sûr au-delà des buzzwords : ainsi on entend de moins en moins le terme "guerre" au profit de "conflit", on ne parle plus de "soldats morts / tués" mais de "soldats tombés / perdus".
Il est intéressant de voir à quelle vitesse ces buzzwords sont souvent repris par les journalistes, qui en font parfois des termes "banalisés" et "neutres", alors qu'ils ne le sont évidemment pas. Peut-être est-ce mon propre biais, mais ceux auxquels j'ai pensé spontanément tournent presque tous autour de la "guerre technologique" (terrain d'expression de la Revolution in Military Affairs et du Network Centric Warfare), qui porte la promesse d'opérations voire de conflits presque sans violence. De l'autre côté, les terroristes de la "War on Terror" n'ont pas le même souci de l'euphémisme, et utilisent volontiers des termes et images plus "crus".
Bien sûr personne ne peut croire à une guerre totalement "propre" et faisant "zéro mort", d'autant que les opposants se saisissent des buzzwords pour en montrer les limites. Ces expressions peuvent aussi représenter des objectifs à atteindre...ou du moins communicables.
Mais en cette période où les milliards du Pentagone disparaissent en Irak et où un soldat américain tire sur le Coran, l'issue sur le front de l'image est on ne peut plus incertaine...
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