J'ai eu l'opportunité de lire Russie, alliance vitale (Choiseul Editions, en vente à partir du 18 février) du général Pinatel, personnalité reconnue au sein de la communauté française de l'intelligence économique.
Malgré le titre, les personnages principaux de l'opus ne sont ni la Russie, ni la France, ni l'Union Européenne. Car l' "alliance vitale" dont il est question est bien la conclusion de l'analyse, plus que son fil conducteur.
En effet, il s'agit de la seule issue envisagée par le général Pinatel pour éviter que nous (Français, Européens, Russes) ne soyons marginalisés sur la scène mondiale, face à l'impérialisme chinois, la "menace islamique" (sic) et surtout l'appétit du "complexe militaro-industriel américain" (expression qui doit être la plus fréquente de l'ouvrage, et bien évidemment la célèbre tirade d'Eisenhower est citée), qui détermine (quasiment) à lui seul la politique étrangère américaine.
Oui, ce sont bien la Chine et les États-Unis et leur duopole en formation, rejetant l'idée d'autres puissances de même niveau, qui se trouvent au coeur de l'ouvrage. Le pays d'Obama (et de Clinton, Bush Sr et Jr...), poussé par ses industriels de la défense, entretient la diabolisation de l'Iran, entraîne les Européens, au travers de l'OTAN obsolète, dans une "croisade antirusse", s'embourbe en Irak et en Afghanistan en attisant le fameux "choc des civilisations", place son cheval de Troie turc dans la construction européenne, est incapable de - ou ne souhaite pas - résoudre le conflit israélo palestinien ; tout en mettant en place une relation d' "adversaire-partenaire" avec l'Empire du Milieu, successeur de l'URSS dans cette partition à deux, seule configuration qui permettrait aux USA l'expression de leur pleine puissance.
Si le raisonnement de Jean-Bernard Pinatel a le mérite d'aller à contre-courant de la pensée dominante sous nos latitudes (la Russie est infréquentable, le grand-frère américain est le gendarme naturel du monde), en mettant en exergue les sujets de convergence euro-russes (culture, économie, sécurité, situation au Moyen-Orient, en Afghanistan) il faut néanmoins relever quelques imprécisions et lacunes :
- Les failles introduites délibérément dans les logiciels sont les "backdoors" et non "black doors" (p71)
- Les "années Clinton" ne commencent pas en 2004 (graphique p66)
- Le terme "islamique" est utilisé assez souvent de façon interchangeable avec "islamiste", notamment quand il s'agit de l'associer à "menace"
- Plus fondamentalement, l'auteur met en avant l'objectif des stratèges américains d'empêcher une alliance stratégique russo-européenne sur le "Heartland" mackinderien, qui cantonnerait les USA au "Rimland". Il oublie juste de préciser que ce type d'analyse géopolitique constitue plutôt le coeur du néo-eurasisme, qui connaît une influence certaine à Moscou. De fait, le général Pinatel fait sienne cette vision traditionnelle, puisque le pôle euro-russe aurait justement pour fonction de tenir le Heartland, à côté des autres pôles dominant le monde : États-Unis, Chine et Amérique Latine
- Jean-Bernard Pinatel n'est pas très clair en ce qui concerne l'identité de l' "allié" à mettre en face de la Russie : il parle de l' "Europe" (il faut apparemment comprendre "Union Européenne) mais aussi, à d'autres endroits... de la France. Peut-être parce que l'UE en tant qu'entité politique douée d'une volonté propre sur la scène mondiale n'est pas très crédible, malgré certains progrès dus aux dernières modifications institutionnelles (et même si Catherine Ashton n'est pas 100% convaincante)
- De même, mais ce n'était pas là, de toute évidence, l'intention première de l'ouvrage, n'est pas traitée la question de la volonté qui existe de part et d'autre vis-à-vis de l'établissement d'une telle alliance. On se rappelle que pour certains, ce n'est certainement pas dans l'intérêt russe qu'une réelle union politique émerge de l'Europe des 27, pour une question de sphère d'influence. Ainsi dans La Russie menace-t-elle l'Occident ?, Jean-Sylvestre Mongrenier explique que Moscou s'escrime à établir des liens bilatéraux, notamment avec la France, l'Allemagne et l'Italie (principalement autour de l'énergie et de la défense), pour diviser politiquement les membres de l'UE.
- En conséquence, on a du mal à voir concrètement ce que seraient les termes d'une telle alliance. Car le livre met finalement plus l'accent sur la nécessité d'une plus grande implication russe dans les dossiers internationaux (conflit israélo-palestinien, Afghanistan...) préemptés par les États-Unis, dont l'approche mène, selon Jean-Bernard Pinatel, le monde à la catastrophe (double : sortie de l'Europe de l'histoire et choc des civilisations). Il ne dit pas (autrement que par quelques points communs : par exemple sur le dossier afghan, une expérience partagée euro-russe de la rusticité - au contraire des Américains prisonniers de l'hyper-technologisation de leur armée - ou même la présence d'importantes minorités musulmanes sur leur sol) en quoi un tandem conduit par l'Europe (quel numéro de téléphone ?) et la Russie serait plus efficace, ni d'ailleurs comment il fonctionnerait.
2 commentaires:
merci de signaler ce livre. Je me sens souvent seul lorsque j'essaie de demander quelles sont les raisons qui nous empêchent d'être amis et alliés avec les russes.
Bonjour,
Je tiens à encourager toutes les personnes qui aiment la Russie ou qui se posent des questions sur la Russie de lire absolument ce remarquable ouvrage.
Enfin un ouvrage qui donne une image positive de la Russie, en toute objectivité.
Toutes mes félicitations au Général Jean Bernard PINATEL et tous mes respects.
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