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lundi 11 janvier 2010

Ouvrage : la Russie menace-t-elle l'Occident ?

Je signale la parution de "La Russie menace-t-elle l'Occident" de Jean-Sylvestre Mongrenier (professeur agrégé, docteur en géographie-géopolitique, chercheur à l'Institut français de géopolitique (Paris VIII) et chercheur associé à l'Institut Thomas More), aux éditions Choiseul.


Remarque : le présent billet ne fait que présenter l'ouvrage et son contenu. Un prochain article reviendra plus en détails sur différents thèmes évoqués ci-dessous, avec parfois un point de vue un peu différent.

Autant le dire tout de suite, il s'agit là d'un ouvrage au ton offensif. Le sous-titre de l'introduction, "La Russie, embarras géopolitique et problème de sécurité collective", annonce la couleur. La préface d'Yves Lacoste avait auparavant prévenu les étourdis :
Ce titre, qui est une bonne accroche pour le lecteur, risque d'être jugé un peu trop alarmiste par ceux qui ne percevront pas qu'il s'agit aussi d'une représentation.
Accordant une grande importance aux temps longs, l'auteur revient sur les origines de la Russie, depuis la Rus' médiévale jusqu'à la Fédération actuelle, en passant par Nevski, Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Catherine II ou Gorbatchev. Il entend ainsi mettre en lumière l'héritage à la fois des influences occidentales mais aussi des "despotismes orientaux" (citant les travaux de Karl Wittvogel, un temps membre du Komintern), tout en soulignant l'importance historique de l'orthodoxie, Moscou devant être la "troisième Rome" selon la prophétie de Philotée, moine de Pskov.

Le "système Poutine" est décrit comme un autoritarisme néo-patrimonial (i.e pour simplifier, selon les classifications en vigueur, un régime dans lequel les dirigeants assimilent biens de l'Etat et leur propre patrimoine, où l'on devient riche en accédant au pouvoir et en le conservant). Les siloviki, fonctionnaires issus des agences de sécurité et notamment du KGB/FSB, y sont dépeints comme régnant en maître sur un régime refusant largement le soft power et obsédé par la derjava, la volonté de puissance. Les dirigeants russes, sujets aux "passions tristes", apparaissent obsédés par le concept d'Heartland hérité de McKinder, nourris du néo-eurasisme de Douguine et Goumilev (doctrine héritée de l'eurasisme, datant des années 1920 et promeuvant l'idée d'Eurasie, ensemble formé de la Russie et de ses voisins proches, continent à part entière, différent de l'Europe et de l'Asie) et sont désireux d'assurer la transition entre une ex Russie-Soviétie et une Russie-Eurasie.

Un panorama des relations internationales de la Russie est dressé, développant notamment sur les aspects suivant :
  • Relations avec l'Europe Occidentale et particulièrement l'UE, avec notamment un retour sur le concept d'Europe "de l'Atlantique à l'Oural", et le refus clair d'une Union forte et unie, venant empiéter, comme le montre l'exemple le "Partenariat Oriental", sur les plates-bandes russes. L'auteur insiste sur le fait que les relations bilatérales établies avec certains grands de l'UE (Allemagne, France, Italie) nuisent à cette dernière en tant qu'ensemble supranational, la Russie pariant sur la désunion pour asseoir son point de vue. Pour lui, les alliances russo-occidentales sont en trompe l'oeil et vouées à l'échec
  • Peur d'un néo-containment par l'OTAN, mené par les USA, en Europe (cf. le bouclier anti-missile, un faux problème selon Jean-Sylvestre Mongrenier) et en Asie Centrale
  • Positionnement de la Russie sur les dossiers nord-coréen (sur lequel sa faible influence est soulignée) et iranien ; avec une description des relations commerciales, énergétiques, diplomatiques avec le régime des mollahs
  • Relation avec la Chine, autour du point focal de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) : l'auteur avance l'idée que très bientôt le géant asiatique aura dépassé, de loin, la Russie dans tous les domaines, et pourrait donc se positionner en "grand frère". Sont également évoqués les problèmes entre les deux pays relatifs au peuplement de l'extrême sud-est russe, l'auteur soulignant qu'il ne doit pas être exagéré. Les liens avec la Chine sont tempérés par la volonté russe de ménager l'Inde, comme l'illustre la participation aux manoeuvres Indra
  • Interactions et visées sur l'"étranger proche", c'est-à-dire principalement l'ex-URSS, et notamment la CEI, décrite comme le "syndicat de faillite" de l'ancien empire soviétique. Certains "enfants terribles" (Ukraine, Géorgie, Moldavie mais également Azerbaïdjan) ainsi que la portée limitée de l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), que Moscou veut voir en alternative crédible de l'OTAN, notamment en Asie Centrale (cf. la volonté de reprise de la base de Manas au Kirghizistan) sont autant de freins à l'ambition russe dans cette sphère d'influence. L'OTSC est d'ailleurs décrite comme largement éclipsée par l'OCS
  • Importance de la problématique énergétique (gaz et pétrole), à la fois vis-à-vis des consommateurs principalement ouest-européens mais aussi des anciennes républiques soviétiques traversées par les différents tubes déjà constuits ou en projet, voire de nouveaux débouchés en Asie (comme en témoignent par ailleurs les récentes délrations de Gazprom), nécessitant cependant des investissements énormes
Bref, une Russie se voulant conquérante et puissante, même si ses moyens propres (armée, économie, population, diplomatie) sont décrits comme bien en-deçà de ces objectifs, en particulier hors du strict périmètre de la CEI. Face aux USA, à la Chine et même à l'UE, entités bien plus peuplées et beaucoup plus riches, la vision d'une Russie "Etat-monde" semble bien loin, Jean-Sylvestre Mongrenier appelant les dirigeants russes à un changement radical d'attitude :
Les déconvenues de l'espace post-soviétique ne ramèneront pas la Russie à une forme plus sage de géoéconomie, axée sur le développement à long terme et les relations de bon voisinage
[...]
Il serait bien difficile pour Moscou de prétendre donner forme à un troisième pôle de puissance de rang planétaire
[...]
Consolider le pays, aménager le territoire et ouvrir des opportunités, en bonne coopération avec l'Occident, plutôt que de rêver de sphères de contrôle et d'Etat-monde.
Sur la forme, je regrette les nombreux allers-retours historiques, induisant certaines redites, mais conséquences naturelles du découpage thématique. La bibliographie indicative mentionne peu d'ouvrages russes (non francophones plus généralement), et j'aurais également souhaité que les nombreux chiffres cités soient accompagnés de sources plus nombreuses.

A suivre donc, quelques développements connexes...

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2 commentaires:

Frédéric a dit…

Entre le ''vouloir'' et le ''pouvoir'', il y a un hiatus mais la Russie peut redevenir en effet une puissance à caractère hégémonique continentale à long terme.

Elle reste la premiére puissance démographique d'Europe, à une longue expérience militaire et des ressources naturelles énormes qui ne demande qu'a être exploités de façon plus productive.

JGP a dit…

le vouloir n'est certes pas une condition nécessaire au pouvoir, cependant pour un pays comme la Russie c'en est une condition nécessaire.