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jeudi 9 décembre 2010

Stratégie, modèles et épistémologie

Certains membres de l'Alliance Géostratégique, à la suite de Mars Attaque, se sont penchés sur la question de la pertinence et de la validité des modèles dans la réflexion stratégique. Olivier Kempf a notamment appelé à un retour à l'épistémologie.



Voici quelques petites remarques basiques en vrac déjà échangées, pour la plupart, dans la mailing list AGS en fin de semaine dernière :

  • Puisque l'on parle énormément de "société ouverte" ces jours-ci avec l'affaire Wikileaks, je conseille de (re)lire Popper, pas seulement pour son The open society and its enemies mais également pour son travail en épistémologie, autour de la réfutabilité (le propre d'une théorie scientifique) et du passage d'un modèle dominant à un autre. Et qui à mon sens, en affirmant la nécessaire humilité de la science (aucun modèle n'est parfait ni définitif, mais voué à être remplacé par un qui est plus "efficace" et plus simple dans son explication du réel), lui rend aussi ses lettres de noblesse, en évitant les écueils scientistes mais également pseudo-scientifiques
  • Quant à se replonger dans l'épistémologie, autant faire aussi un tour chez Bachelard, pour lequel les plus grands obstacles épistémologiques (i.e nous empêchant d'accéder à la connaissance du réel) est l'appui sur nos préjugés, nos opinions, nos convictions, notre "pré-science" d'un sujet donné. Voir d'ailleurs à ce sujet le célèbre "The American Soldier" de Paul Lazarsfeld. Sont à rejeter pour Gaston les approches trop inductives ainsi que la tentation de la facilité (accès immédiat à la connaissance) : en gros un exemple (qu'il soit historique ou non, mais je ne vais pas relancer un autre débat) ne fait pas une loi sur la base de quelques analogies hâtives. Un brin "cocasse" la position du Bachelard alors que Mars Attaque parle justement d'édification de modèles "a posteriori", après la bataille en quelque sorte
  • Même dans le cadre d'une théorie mathématique, i.e. basée sur tous les axiomes que l'on veut et de la pure logique, il existe toujours des propositions indécidables (théorème d'incomplétude de Gödel), c'est-à-dire des trous que ne peut combler aucune démonstration dans un sens ou dans l'autre. Donc dans le cas d'un matériau humain, au coeur de la réflexion stratégique, c'est même pas la peine de penser disposer d'un modèle permettant de prendre les bonnes décisions dans tous les cas. Sans parler de l'excès de déterminisme parfois injecté par des théoriciens trop "enthousiastes" dans leur volonté de modélisation, pressés de démontrer des liens de cause à effet là où n'existe qu'une vague corrélation
  • Quant à la mise à l'épreuve d'un modèle stratégique (je n'ose parler d'expérimentation dans le cadre qui nous intéresse), c'est une sacrée paire de manches : les conditions initiales, les "testeurs", les observateurs, les notateurs ; tout peut dévier de ce dont le modèle a besoin pour "tourner" ! Difficile de faire varier isolément chaque variable pour voir les effets que cela pourrait provoquer...
  • Aux réflexions déjà menées par Mars Attaque, EGEA ou Pour Convaincre, j'ajouterais également qu'un modèle est rarement objectif et qu'il est souvent éclairant sur les motivations (politiques ou personnelles) de ses auteurs. D'ailleurs pour rebondir sur les propos de Mars Attaque, Mao Zedong est un contre-exemple à l'affirmation selon laquelle les stratégies sont systématiquement formalisées a posteriori. Ainsi il faut lire son Principes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine, écrit (de mémoire) en 1936. Il faut dire que le futur Grand Timonier prend bien la peine dans son opus de préciser la spécificité du contexte dans lequel elle s'inscrit : la "guerre révolutionnaire" n'est pas la "guerre" en général, et la Chine n'est pas un autre pays; il est illusoire de prendre ces principes pour des vérités universelles et surtout reproductibles.

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1 commentaire:

SD a dit…

Merci pour ce billet qui complète les précédents propos. Je vais même plus loin que toi. Le modèle n'est jamais objectif car il est issu du choix d'une personne. Il faut l'assumer lorsque l'on est modélisateur, y compris quand cela ne fonctionne pas et il faut changer le modèle.
Cordialement