Dans le cadre du thème du mois de l'Alliance Géostratégique consacré à l'Allemagne, cet article (déjà publié sur le site de l'AGS) revient sur les relations économiques et diplomatiques entre les deux premières puissances exportatrices du monde, en dressant notamment un petit parallèle entre le pays d'Angela Merkel et la France puis en évoquant l'impact sur l'UE d'une stratégie économique favorisant l'offre.
Allemagne et Chine, premiers exportateurs mondiaux
L’Allemagne n’est plus depuis l’an dernier la première puissance exportatrice au monde. Malgré ses plus de 900 milliards de dollars (pour 80 millions d’habitants) de biens vendus hors de ses frontières sur 2009, elle a été devancée par la Chine et ses 1,3 milliard d’habitants, qui a mieux su résister face aux effets de la crise économique et exporter pour plus de 1200 milliards de dollars. Il s’agit pour le pays d’Angela Merkel, avec une chute de près de 20% par rapport à 2008, du plus gros recul relatif depuis les années 1950.
Certes les deux pays ne boxent pas dans la même catégorie, l’Allemagne étant réputée pour ses automobiles, ses produits chimiques ou ses machines-outils à forte valeur ajoutée, écoulées principalement auprès de ses voisins européens peu en forme en ce moment ; alors que la Chine, elle, profite de la faiblesse de son yuan (qui pourrait ne pas durer) et de son statut d’atelier du monde pour écouler de grands volumes de produits moins technologiques. Ceci dit, l’Allemagne compte sur la hausse des investissements et du niveau de vie dans de nombreux pays asiatiques pour soutenir sa croissance en s’appuyant sur la robustesse de son secteur industriel. De fait, la Chine est son principal partenaire du continent, avec un doublement des échanges en valeur sur la dernière décennie, rentrant ainsi dans le top 3 des fournisseurs de l’Allemagne et dans le top 10 de ses clients. Car pour fabriquer des chaussures ou des jouets (dont plus des 2/3 proviennent de l’Empire du Milieu), les machines-outils d’outre-Rhin sont toujours nécessaires. Comme l’explique Margot Schüller de l’IFRI dans son rapport « Le partenariat économique Chine – Allemagne, une interdépendance croissante », la structure des échanges entre les deux pays se rapproche de plus en plus de celle observée classiquement entre deux états industrialisés.
D’exportations et de partenariat commercial il fut donc bien question lors de la visite d’Angela Merkel en Chine au mois de juillet 2010. La chancelière a notamment plaidé pour une plus grande ouverture du marché chinois, ce qui permettrait un équilibrage des échanges, pour le moment largement en faveur de la Chine au détriment des pays européens, et en particulier de l’Allemagne (déficit d’environ 20 milliards de dollars en 2009). Bien sûr, de nombreux contrats de partenariats ont aussi été signés, notamment par Siemens et Daimler, mais aussi dans le domaine des technologies vertes. Attention toutefois, car la Chine et ses entreprises ont maintes fois montré par le passé un manque flagrant de respect de leurs partenaires, spécialement dans le cadre de joint-ventures (La justice, une arme de la guerre économique).
Fossé franco-allemand
On ne peut là que constater le fossé évident entre cette visite et celle du président français Nicolas Sarkozy en avril dernier, qui ne s’était soldé par aucun résultat tangible, dans une ambiance de rabibochage forcé après la brouille de 2008. Ceci tient à la fois à des facteurs industriels et diplomatiques.
En effet, nous l’avons déjà dit, les entreprises allemandes sont présentes sur tous les secteurs qui intéressent la Chine, ce qui n’est pas le cas des françaises. Mais de plus, elles ont une approche nettement plus intégrée et solidaire dans leur stratégie de pénétration du marché chinois que les nôtres. Les champions nationaux promeuvent systématiquement la sous-traitance auprès de leurs propres PME spécialisées, en les aidant aussi à s’implanter en Chine, ce qui permet à ces dernières d’être également présentes avec un maillage assez resserré. Côté français, l’approche est nettement plus individualiste et désordonnée, comme le constate Hervé Denis, dirigeant d’une entreprise hexagonale :
Les entreprises allemandes, quand elles viennent en Chine, ont recours à d'autres entreprises de leurs pays, par exemple pour la sous-traitance. Nous, les PME françaises, quand on demande de travailler avec les grands groupes, on est trop souvent regardé avec dédain. Le problème, pour résumer, c'est qu'on ne sait pas travailler ensemble. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir le chantier de l'ambassade de France à Pékin pour s'en convaincre !
Faut-il le rappeler, Hu Jintao se fait le chantre d’un « monde harmonieux » dans lequel les échanges économiques ne sont pas subordonnés aux questions de politique intérieure qui fâchent. Ce qui va dans le sens de l’analyse d’Eberhard Sandschneider du DGAP (Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik, Conseil Allemand aux Affaires Etrangères) :
Les intérêts vont dominer sur les valeurs ; les Occidentaux ne peuvent pas trouver autrement un terrain d'entente avec les puissances émergentes comme la Chine.
De fait, l’inflexion est notable depuis le voyage de Merkel avant les JO de 2008, qui faisait suite à la brouille de l’été 2007 quand la chancelière avait rencontré le dalaï-lama, s’attirant les foudres de Beijing :
C'est non seulement une ingérence grossière dans les affaires intérieures chinoises, mais cela heurte les sentiments du peuple chinois et sape les relations entre la Chine et l'Allemagne
Il y a un peu plus de deux ans, la chef du gouvernement allemand n’hésitait pas évoquer tous les sujets sensibles, marquant une rupture avec l’ère du VRP Schröder :
Les relations économiques sont une chose, mais il reste beaucoup de travail à faire dans d'autres domaines, (...) comme les droits de l'homme, la protection de la propriété intellectuelle et le réchauffement climatique.
La Chine semble lui en avoir beaucoup moins tenu rigueur sur la durée qu’à la France, mauvais camarade depuis l’épisode de la flamme olympique à Paris et les menaces de Nicolas Sarkozy sur le boycott de la cérémonie d’ouverture des JO. Pierre Haski y voit la mise en application du vieil adage chinois selon lequel il faut « tuer le poulet pour effrayer les singes », la France étant « punie » pour l’exemple, donnant ainsi un avertissement à l’ensemble des pays européens. Mais on ne peut exclure le fait que la puissance industrielle allemande, dont la Chine ne peut pour le moment se passer, soit aussi une arme diplomatique de premier ordre. Quoi qu’il en soit, les dirigeants chinois, un peu à la manière du Kremlin, jouent sur la faiblesse politique de l’Union Européenne et la tentation de ses membres de jouer en solo leurs relations extérieures et leur développement économique.
Allemagne, Chine de l’Europe ?
Ce manque de convergence en matière économique s’est d’ailleurs illustré récemment à l’occasion de la grave crise grecque, quand l’Allemagne s’est montrée très réticente à participer au redressement financier d’un pays peu vertueux dans sa gestion interne. Cette affaire a fait éclater au grand jour la différence de stratégie entre l’Allemagne et la plupart des autres pays de l’Union Européenne : la première s’appuie depuis longtemps sur une politique de l’offre, qui favorise l’innovation, la compétitivité et la modération salariale afin de gagner des parts de marché et de soutenir le niveau des exportations. A tel point que certains vont jusqu’à parler de « Chine de l’Europe » exerçant une concurrence déloyale vis-à-vis de ses voisins : les excédents de l’Allemagne seraient les déficits de ses partenaires européens. Christine Lagarde et Dominique Strauss-Kahn, en expliquant que cet état de fait était néfaste à moyen-terme pour l’Union, ont provoqué de vives réactions d’Angela Merkel :
Where we are strong, we will not give up our strengths just because our exports are perhaps preferred to those of other countries
Pour les Allemands, ce sont les autres qui doivent faire des efforts et se mettre au niveau au lieu de laisser éclater leur jalousie :
Mrs Lagarde must take back her outrageous assertions: jealousy should not be a factor in the politics of European neighbours. This is the behaviour of a bad loser.
Ce qui n’est pas de l’avis de tout le monde, comme par exemple Charles Dumas du Lombard Street Research :
There has been this massive self-righteousness in Germany. They have been leeching off the demand of countries for the last decade, and now they too are going to suffer until they change their ways. German industrial production is down 17pc from the peak and has been flat for four months, so Mittelstand bosses are soon going to draw the obvious conclusion and downsize in style.
"Leech” (sangsue), le mot est lâché. Il rejoint les critiques de ceux qui vont jusqu’à qualifier l’Allemagne de « passager clandestin » de l’Union Européenne, un terme en général plutôt associé à ceux dont l’économie est tirée et grandement aidée par les subsides de Bruxelles ; la Grèce, par exemple choisi fortuitement.
Il n’en reste pas moins que mettre l’Allemagne et la Chine dans le même panier, celui des perturbateurs de l’équilibre mondial, en les enjoignant conjointement de travailler à l’amélioration de leur consommation intérieure est très excessif. Parce que la situation monétaire des deux pays n'est pas la même, ensuite car on ne peut accuser l'Allemagne de dumping social mais aussi parce que l’attitude allemande depuis les années 1990 (et les suites de la réunification) a largement joué le contrepoids au recours massif au crédit un peu partout dans le monde. A tel point que certains analystes financiers l'érigent en modèle à suivre pour tous les États trop dépensiers.
Quoi qu'il en soit, ceci illustre le pas qu'il reste à franchir par l'UE avant d'apparaître comme une entité dotée d'une vraie volonté politique aux yeux de ses citoyens mais également à ceux des grandes puissances mondiales dont la Chine fait partie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire