Une période féconde
Resituons le contexte. Nous sommes dans les années 1980. Cette période a pour caractéristique d’avoir relancé la course aux armements. Les États-Unis ont eu comme porte-étendard l’Initiative de Défense Stratégique (IDS), et leurs alliés ont suivi avec un ambitieux renouvellement conventionnel. Par exemple, en France c’est le lancement des programmes Rafale, Leclerc et du porte-avions nucléaire. C’est un pari qualitatif face à la puissance quantitative de l’Union Soviétique. Vous connaissez la suite de l’histoire.
12 SNA classe Rubis pour le Canada
Le Canada, quant à lui, a tenté un coup à la fois qualitatif et quantitatif. Alors qu’il opère une petite flotte de sous-marins centrée autour de trois anciens navires à propulsion diesel électrique de classe Obéron (déclassés et vendus par la Grande-Bretagne), il va tenter de se doter d’une sous-marinade nucléaire de dix à douze vaisseaux !
Avant le livre blanc canadien de 1987, il était prévu l’achat de 17 sous-marins classiques supplémentaires. La pensée stratégique évoluant, les conclusions du livre blanc aboutirent à choisir la voie du SNA. Il était question d’une flotte de 12 unités au maximum, construite localement en transfert de technologie.
Mettons en évidence cette remarque : est-ce que face à une telle commande, la France et l’Angleterre se seraient inquiétées de ce transfert de technologie ?
Un des besoins stratégiques profonds du Canada, qui a abouti à ce changement, est de pouvoir assurer sa souveraineté sur les trois océans Atlantique, Pacifique et Arctique. Il est d'ailleurs exacerbé aujourd’hui, surtout face aux ambitions russes et américaines sur la zone arctique. Le SNA a donc paru être le type de sous-marin le plus adapté. France et Angleterre se sont opposées avec pour l’une, son tout nouveau SNA classe Rubis, et pour l’autre, son SNA classe Trafalgar. Le projet fut finalement abandonné en avril 1989, les prémices de la fin de la Guerre Froide se faisant sentir. Sans oublier l’arrivée d’un nouveau gouvernement conservateur qui sabrera dans toutes les dépenses de Défense, initiative dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. L’ambition militaire canadienne générale fut dès lors orientée à la baisse.
Emblématique connexion canadienne
C’était donc une occasion avortée pour la France ou l’Angleterre de conclure l'un des plus juteux contrats de vente de sous-marins. Notons deux choses :
C’est aussi la période où commencent les discussions sur une fusion ambitieuse : Aérospatiale et Alenia avec de Havilland, alors division canadienne de Boeing. La Commission européenne mettra son veto en 1991. Il faut noter que le rêve du marché de l’armement transtlantique se cassait les dents déjà à cette période (si vous pensez qu’on fait référence ici à une tentative actuelle, vous touchez au but).
Notons que la « démocratisation » du SNA a commencé à cette période. C’est pendant cette décennie 80 que l’Inde loue un SNA à l’URSS, que le Canada tente de se doter de ce type de navire et que le Brésil et l’Inde lancent leur projet de conception et de construction locale.
L’Australie et le sous-marin atomique
L’Australie est dans une situation similaire à celle du Canada. C’est aussi un Etat-continent entouré de grand océans, qui voit sa défense maritime passer par une flotte sous-marine.
Nous avons déjà abordé en partie le programme australien de sous-marin classe Collins. Rappelons que cette classe a mis en évidence les lacunes de l’Australie à concevoir, construire, entretenir et opérer une sous-marinade. Il existe, pour succéder à cette classe, l’option du sous-marin atomique. Le besoin est le même, assurer la souveraineté australienne sur ses eaux. Le besoin est de plus stimulé par une nouvelle menace. Alors que le Canada était en première ligne contre l’URSS, l’Australie est elle en première ligne face aux ambitions navales de l’Inde et de la Chine, et de toute l’Asie qui est entraînée dans leur sillage. Les ambitions américaines, caractérisées par la présence de 60% de leur flotte dans le Pacifique, n’inquiète pas l’Australie puisque c’est un allié. C’est pareil pour le Canada, à la différence qu’il existe une ambition canadienne sur l’Arctique.
L’autre différence avec le Canada, c’est que livre blanc australien de 2009 a rejeté en premier lieu l’option du sous-marin nucléaire. Le résultat est, certes, le même que le Canada au final. Le remplacement des Collins se ferait donc par douze nouveaux sous-marins classiques comme nous l’évoquions. Mais l’Australie est prise dans une tourmente fondamentale, la qualité de son industrie militaire a abouti à ce qu’un rapport australien pointe la réalité, comme le rapporte le portail des sous-marins :
Dans une étude menée l’an dernier [2008], l’Australian Strategic Policy Institute avait évalué à 9 milliards AUS$ (6 milliards €) le prix d’achat de sous-marins européens sur étagère et à 36 milliards (24 milliards €) le prix de sous-marins développés et construits en Australie
Le décor est planté, et là se présente notre hypothèse farfelue. Les Espagnols disent être les favoris pour la construction locale, en transfert de technologie, de sous-marins classiques. Chose que nous leur reconnaissons. A un tel coût, on se pose néanmoins des questions. Et on se prend à rêver d’une offre culottée de la France : la vente de douze SNA classe Suffren (Barracuda). Un groupe de pression australien, la Navy league, nous fait le parfait argumentaire d’une proposition si osée (là aussi par l'intermédiaire du portail des sous-marins) :
Quatre nations qui opèrent dans les océans Indien et Pacifique — la Russie, la Chine, l’Inde et les États-Unis —, disposent de sous-marins nucléaires, indique la ligue dans la dernière édition de sa publication The Navy. "Si l’Australie veut maintenir son avance technologique, elle aussi devrait choisir la propulsion nucléaire," indique-t-elle
Notons encore que la France est présente localement en Australie via Thalès Australia. Et qu’elle a déjà vendu sur le continent australien : Mirage III et hélicoptère Tigre. C’est dire que face à la défense maritime de son territoire, toutes les options sont permises.
La France et les alliés américains pour conclure
Le Canada et l’Australie offrent les mêmes perspectives de développement pour la France. Bien qu’on évoquait plus haut une baisse d’ambition canadienne et les coupes sombres de la fin de la Guerre Froide, cela n’empêche pas pour autant ce pays de se renouveler. La problématique de l’Arctique reste la même et est peut-être plus d’actualité, aujourd’hui qu’hier, avec la fonte des glaces. Et donc, à défaut d’une ouverture pleine et entière des routes commerciales, c’est une confrontation d’ambition géopolitique des États riverains. Ce qui force un peu le renouvellement des armes du pays, confronté à ses réalités géopolitiques. La France se place autant qu’elle peut pour tirer profit de cet état de fait. La récente revente de drones STDI du Canada à la France est un autre exemple d’un contrat passé. Un temps, on donnait DCNS bien placé pour rénover douze frégates canadiennes de classe City ou assurer l’entretien des sous-marins canadiens (allié à un industriel local). Et la candidature du VBCI symbolise la continuité de la relation. En somme, la France fait son marché au Canada.
Cette capacité de la France à vendre son arsenal est due au fait qu’elle a développé un arsenal. C’est un fait trop souvent oublié : on ne vend que ce que l’on a développé (produit ou service). C’est une chose que nous avions déjà mise en évidence en étudiant les rapports franco-espagnols à l’aune de l’hyperpuissance américaine. Notre conclusion est sensiblement la même. Nous mettrons d’autant plus en évidence que si États-Unis et France sont concurrents, cela n’empêche pas notre pays d’user d’une certaine amitié pour en tirer un bon parti. C’est ce que nous avons tenter d’illustrer en parlant de l’Australie, de l’Espagne et du Canada. La France n’hésite pas à chasser les marchés chez les plus fidèles alliés de Washington, et ce, bien qu’elle soit confrontée aux impératifs stratégiques contradictoires de ce dernier. Une récente interview du générale Jones (Le Figaro) illustre toute la complexité de l’amitié franco-américaine. Depuis le renouvellement présidentiel dans nos deux pays (2007 et 2008), les points de convergence sur les affaires internationales sont légion. On observerait même une répartition des rôles : la France jouerait au « gentil flic » avec la récente conférence sur le nucléaire civil, tandis que les Etats-Unis seraient sur cette affaire le « méchant flic » avec la future conférence sur le TNP.
2 commentaires:
Bonjour
Deux commentaires à votre article.
Tout d'abord l'achat de SNA par le Canada. Il y a eu aussi une très forte pression des USA qui ne souhaitaient pas avoir à faire à un partenaire supplémentaire sous la banquise, face aux soviétiques.
Ensuite, il me semble que Eurocopter au aussi vendu des NH-90 à l'Australie.
Cordialement
Bonjour !
Plusieurs commentaires à votrer article:
- L'année 2009 fut ( depuis la chute de Lehman Brothers en 2008) globalement satisfaisante pour le Canada et l'Australie, si on les compare avec les autres nations, confronté à des vagues scélérates, successives cumulatives et d'instensités à effet variable sur le terme. Je veux bien entendu parler des crises financières, economiques, pré-sociales... et de souveraineté.
- Territorialement, les 2 pays cités détiennent un certain nombre de KM2, contenant, en son sol et sous-sol, des matières premières qui constituent une "réserve" stratégique...l'ambition politique internationale s'en trouve renforcée , de même que stable: 2 atouts indéniables.
-L'intérêt du nucleaire militaire, dans son milieu aquatique : Les 2 pays cités m'apparaissent insuffisammment motivés au regard d'autres pays. Rien ne laisse penser ( J'ai très certainement tort d'écrire ceci), à ce jour, qu'il existe une réelle volonté politique, une pensée stratégique, pour aller dans cette direction.
-L'état des lieux, en matière de connaissances, structures et industries exercant dans le domaine nucléaire : les 2 pays ne dispose pas d'une structure nationale significative dans ce secteur.
- L'état des lieux pour les 2 sous marinades : Malgré les discours des politiques et militaires respectifs, les 2 sous - marinade ne sont pas mâtures... Vouloir se projeter au niveau supérieur , alors qu'on ne maîtrise pas le niveau inférieur de 2 échelons ... est un doux rêve..pas une ambition!!!
- Le constat :
Les années passent...et malgré leurs problèmes respectifs, les vecterus des 2 sous marinade vieillissent : Je ne vois aucun de ses 2 pays , renoncer à leurs flotte de sous- marins . De ce fait , ils seront à remplacer... tôt ou tard !!! Et là, la France doit prend l'initiative pour effectuer une proposition de partenariat win-win, englobant tous les volets des aspects politique, diplomatique, militaire, industriel, economique...Dès lors , une proposition couplant plusieurs vecteurs ( propositions de flottes homogènes et hétérogènes) est souhaitable ....DES LORS QUE LA FRANCE Y PARTICIPE , en tant qu'acheteur . Dès lors, l'une des propositions pourrait être celle d'une flotte hétérogène de petits ou moyens sous marins ... Notre pays s'associant pour acheter 4 SMX 23 dans une version commune ... avec tous les avantages que ce type de choix et de volontés étatiques nous garantissent...
-Concrètement , je ne crois pas que les 2 nations commanderont, respectivement, 12 sous marins . Un chiffre compris entre 5 et 9 SM m'apparaît plus réaliste.
Compte tenu de ce paramètre, une proposition couplant des SMX23 et des Soumarins de type scorpène ou marin, a du sens...dès lors que la France participe à la définition du petit modèle, pour ses propres besoins...
Bonne journée !
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