Il est proposé de s'intéresser à ces deux pays exportateurs de matériel militaire et au « client pivot » de leur stratégie. La rivalité entre l'Espagne et la France est d'autant plus saisissante qu'elles ont coopéré durant le programme Scorpène avant de se séparer dans de douloureuses conditions. Nous en évoquions déjà les causes dans un article sur la consolidation des industriels de défense terrestre en Europe :
Le sous-marin est conçu par la DCNS et ce qui deviendra Navantia. Les Espagnols sont passés de la réalisation de sous-marin français en transfert de technologie à la conception. Après les succès à l'export du sous-marin, il était question que l'Armada commande au moins 4 Scorpène. Il n'en fut rien, l'Etat espagnol prit la décision que le sous-marin serait de conception espagnole, avec un système de combat américain, une propulsion AIP américaine et des tubes de lancement de missiles de croisière américains (Tomahawk en lieu et place du Scalp naval). Ainsi est né le S80, et le divorce fut consommé.
Prenons un peu de hauteur afin d'analyser de façon plus globale les stratégies qui s'affrontent. Dans cette première partie nous nous attachons à l'axe franco-brésilien.
Le partenariat franco-brésilien
crédits : leprogres.fr
Une lente construction
Le prélude à la formalisation de la coopération stratégique a été la participation française dans Embraer, ainsi que les contrats d'exportations qui ont soutenu la montée en puissance d'Hélibras. La France contribuait déjà au développement de l'industrie aéronautique et de défense brésilienne par le biais de transferts de technologies. Nous sommes aujourd'hui bien devant un partenariat tout azimut puisqu'il touche à plusieurs domaines, aussi bien dans la défense que dans le civil.
Le cas du Scorpène
Pour le Scorpène l'apport espagnol a surtout été son « carnet d'adresses » en Amérique Latine. Cette zone était jusqu'alors une chasse presque exclusivement gardée par les Allemands dans le domaine des sous-marins. La coopération franco-espagnole a permis d'arracher une vente au Chili. Le contrat malaisien étant l'autre réussite du couple.
Cependant, une fois le divorce consommé, c'est la France seule qui signe le contrat au Brésil. Il est le fruit d'un partenariat stratégique âprement discuté entre les deux pays. Ce n'est que la suite logique du conseil franco-brésilien du 23 décembre 2008. Le contrat en question prévoyait non seulement de construire 4 sous-marins Scorpène en transfert de technologie au Brésil, mais surtout d'accompagner le Brésil dans la mise au point d'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA). La France fournit la coque, le Brésil le réacteur embarqué et les parties nucléaires, les deux parties travaillant à l'intégration de l'ensemble.
C'est un choix stratégique profond puisque depuis c'est la deuxième fois qu'une « puissance nucléaire historique » s'associe à un pays émergent pour lui fournir un instrument de souveraineté lié à la maîtrise de la technologique nucléaire. L'autre exemple étant la collaboration entre la Russie et l'Inde (expertise technique russe, une location de SNA soviétique et un Akula bientôt de nouveau en location pour la marine indienne).
Enfin, il convient d'ajouter que la marine brésilienne a présenté un plan ambitieux de développement naval (format plus ou moins équivalent à notre marine). C'est bien sûr une place de choix que notre pays s'est créé ici.
Le Rafale comme aboutissement
Hélicoptère, sous-marin... Il ne manquait plus qu'une réussite du côte des chasseurs. La France avait déjà vendu des Mirage 2000 au Brésil. Comme à l'habitude, tout pays ayant acquis des Mirage se voit proposer presque systématiquement le Rafale. C'est ce qui est chose faite lors du premier marché FX lancé par le Brésil pour renouveler son armée de l'air. Le marché FX1 périclite de lui-même par manque d'avancées. C'est le FX2 qui prend sa relève. Ce marché est un des plus disputés si l'on tient compte des négociations des deux FX dans leur ensemble qui durent depuis 2000 environ.
Cependant, la décision finale serait proche. Après de multiples rebondissements, le Brésil pourrait enfin choisir. Les concurrents étant le Rafale, le F-18 E/F Super Hornet et le JAS 39 Gripen/NG. Il a été affirmé en août 2009 par le président brésilien Lula que son choix, donc politique, était le Rafale en raison du partenariat et de l'engagement français maintes fois prouvés (contrairement à d'autres). Après la rebuffade de l'armée de l'air brésilienne, Brasilia a réaffirmé ces dernières semaines sa préférence via son ministre de la défense.
Revenons un peu sur ce choix brésilien. Au vu des concurrents retenus par le Brésil, il existe d’autres possibilités que la France. Il est plus évident de comprendre pourquoi la France a été retenue pour la vente de sous-marins : il n’existe que deux pays (aux dernières nouvelles) qui vendent leur savoir-faire technologique dans la construction de SNA. Mais dans l’aéronautique, pourquoi encore choisir politiquement la France ? Il faut savoir que malgré les apparences, le nombre de chasseurs proposés à l’export et en transfert de technologie ne sont pas légion. Si on rajoute le critère d’une certaine qualité éprouvée, on peut encore réduire cette liste. Il reste donc principalement les Suédois, Américains, Russes, Français et autre consortium européen qui détiennent la capacité de réaliser un chasseur dit moderne et qui puisse remplir toutes ses promesses (ou presque) au combat. Le problème bien connu étant que nos finalistes se partagent en deux camps distincts : celui de ceux qui transfèrent la technologie par opposition à ceux qui souverainement gardent le fruit de leurs recherches. D’un côté les Russes et les Français. Les consortiums européens par leur spécificité sont neutre. . . Là où la Suède ne l’est pas ! Cette dernière se dit prête à entrer dans le camp de ceux qui transfèrent. Cependant, la part importante de composants américains dans la constitution du Gripen pourrait être un frein à la vente. On cite souvent le cas du réacteur mais pour l’anecdote le Gripen peut aussi recevoir le réacteur du Rafale (M88) ou de l’Eurofighter (EJ2000). Et les États-Unis ? Ils disent transférer de la technologie (pour leurs alliés les plus méritant comme l’Angleterre ou le Japon) et même pratiquer de généreuses compensations industrielles mais la réalité est tout autre. Par exemple le Japon a conduit un deuxième programme pour réaliser un chasseur : le F2. Le problème étant que ce programme n’a fait que réinventer le F-16. . . Pour plus cher ! En Pologne, l’achat récent de F-16 a plus que déçu en compensation industrielle. Les exemples sont riches, trop riche pour le Brésil.
Il reste à attendre l'affirmation concrète de ce choix, et de voir si le pouvoir civil dictera bien sa décision à l'armée de l'air. Mais en cas de victoire du Rafale ce ne serait finalement pas une grande « surprise ». Après tout, il s'inscrit dans le cadre d'un partenariat de développement commun. Et l'offre commerciale française n'est pas le fruit d'une trouvaille « marketing », plus ou moins copiée sur l'offre d'un concurrent.
Enfin, ce marché, une fois signé (quel qu'en soit le vainqueur), n'apportera certainement que des questions. Une des plus importantes étant l'après Rafale. Il faut savoir que la Russie avait proposé un temps au Brésil de développer avec elle un chasseur de cinquième génération (qui a volé ce 29 janvier 2010). La Russie collaborant avec l'Inde pour le développement, il reste le besoin français, et peut être brésilien, d'imaginer l'avenir. A deux ?
Élargissement du partenariat
La candidature gagnante du Brésil aux J.O. qui a été soutenu aussi bien par Paris que par les capitales africaines illustre bien les conséquences lointaines du partenariat entre nos deux pays. Comme me le fait remarquer JGP, c’est peut être aussi l’illustration de ce que la France fait pour s’attirer les bonnes grâces de Brasilia pour l’achat de Rafale. Il a peut être raison. Que dire aussi d’un esprit de revanche vis-à-vis de la victoire londonienne ? La candidature brésilienne a remporté la mise face à la candidature de Chicago défendue par Barack Obama. . . L’occasion était si belle aussi.
Les négociations sur le climat avec la position commune franco-brésilienne en sont un autre exemple. Mais un exemple qui clot la frontière du potentiel du partenariat franco-brésilien. En effet, le Brésil a fini par rejoindre la position des Etats-Unis et de la Chine au dernier sommet de Copenhague. Il ne faut pas oublier que le Brésil est un pays émergent, et comme il a été vu lors du sommet, il a des besoins impératifs de se développer sans entrave. Des intérêts qui ne peuvent que différer de ceux de la France car les deux pays ne sont pas dans la même position industrielle.
Le partenariat franco-brésilien ne se limite pas à un partenariat souverain entre industries de défense. C'est un choix réfléchi de la France de soutenir un pays souhaitant structurer l'Amérique du Sud via un processus « à l'européenne ». Est-ce un choix diplomatique fait dans l'arrière-cour des États-Unis ? Si on était en pleine Guerre Froide, la réponse serait oui. Mais au contraire, si on relit le penseur naval américain, Mahan, la réponse est non. Pour ce dernier, la « défense » de l'aire stratégique des États-Unis implique une sûreté relative jusqu'aux côtes du Vénézuela. Une conception extensive au sud de l'Amazone n'était d'actualité qu'à l'époque des deux blocs.
Du côté français ce partenariat ne se limite déjà plus au seul Brésil. La France a renouvelé ses accords de défense avec le Chili et l'Argentine. Le choix de ces pays n'est pas anodin car, outre la tradition diplomatique, il s'inscrit dans la même démarche entamée avec le Brésil : donner une suite aux relations militaires passées et participer à la structuration de l'espace politique sud-américain.
Cette rénovation des relations avec l'Argentine et le Chili passe par de nouveaux projets. Au Chili la coopération navale se veut plus profonde. Les industriels se positionnent pour d'autres contrats et donner suite aux Scorpène. En Argentine se pose la même question mais pour le Super-Étendard.
Une industrie de la défense est balbutiante en Amérique du Sud. Le marché est assez restreint, ce qui pourrait pousser à des rapprochements inhérents à toute industrie qui doit se concentrer pour survivre. Par exemple la question des Scorpène pourrait poser des occasion de coopération entre le Brésil et le Chili. Par ailleurs, si le Brésil choisissait le Rafale il obtiendrait une ligne de montage (le contrat brésilien a un potentiel affiché de 108 machines). Des Rafale produits à la chaîne aux coûts brésiliens pourraient susciter des offres plus agressives. Par exemple à l'adresse de l'Argentine et du Chili pour renouveler pleinement leur flotte d'avion de chasse vers 2015-2020.
Un partenariat qui a plus d'avenir que de passé
Le partenariat franco-brésilien dans la défense est très riche et il n'a pas fini de se développer. La question de l'après Rafale ou de porte-avions brésiliens montrent bien le potentiel de la relation. La France ne vend pas seulement de la technologie. Elle vend de la souveraineté à l’instar de la Russie. Un avion de chasse est aussi bien un outil militaire que politique. C’est pourquoi l’intérêt du Brésil est d’avoir trouvé un pays qui peut lui fournir des « instruments de puissance » tel que le sous-marin nucléaire. C’est ce qui explique le potentiel de la relation puisque la France trouve là un moyen de financer ses ambitions dans certains domaines où un partenaire européen est introuvable par exemple.
Mais ce partenariat aura des limites stratégiques « naturelles». On imagine mal le Brésil avoir un unique fournisseur. C'est imaginable si ce dernier est le seul à fournir des instruments de souveraineté. Mais pour d'autres équipements moins stratégiques le Brésil ne se tournera pas toujours vers le même pays. En effet, autant que peuvent s'aimer la France et le Brésil les « Etats n'ont pas d'amis mais des intérêts ». Nos deux pays ne mettront pas tous leurs oeufs dans le même panier. Enfin, n’oublions pas que le Brésil a une double appartenance : il est autant une « puissance » (en devenir) qu’un pays émergent. L’affaire climatique en est un exemple.
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