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jeudi 14 mai 2009

PowerPoint c'est bien, en abuser ça craint !

Olivier Kempf a récemment publié sur son blog un article sur le lien entre RMA et néocons aux États-Unis. Je voudrais évoquer ici un sujet connexe, concernant une tendance montante au sein des armées : le recours à PowerPoint, l'outil de la suite bureautique Microsoft Office bien connu de tous les salariés d'entreprise. Il n'y a de lien de cause à effet entre son utilisation et la doctrine néoconservatrice, mais plutôt une concomitance dans la montée en puissance au cours de la dernière décennie (forcément liée, par ailleurs, à la maturité du logiciel).

En tant que consultant dans le secteur privé, j'utilise PowerPoint tous les jours, et plutôt deux fois qu'une. Rien d'anormal à cela, puisqu'il est devenu la norme de présentation à tous les niveaux de l'entreprise, du plus stratégique au plus opérationnel. Avec un peu de maîtrise de fond et de forme, c'est un logiciel qui permet de faire passer efficacement et rapidement ses idées, à l'aide de schémas simples (cf. par exemple les nombreux sites et blogs qui donnent ou vendent des conseils sur la meilleure manière de formater les planches PowerPoint et de faire passer ses messages de façon convaincante).

Comme la fameuse citation attribuée à Napoléon le dit si bien
Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours
C'est donc principalement un outil de communication, bien qu'évidemment, il ne puisse se substituer par lui-même à l'orateur, par lequel l'essentiel des messages passe. Un des principaux soucis est qu'il est tentant d'oublier qu'un support PowerPoint présenté en réunion ou briefing n'est qu'une restitution synthétique sur un sujet donné, et en aucun cas une encyclopédie exhaustive sur ledit sujet : il s'agit simplement d'être capable de faire ressortir les messages forts, sans forcément rentrer dans le détail, d'autant qu'en général, en haut lieu, les gens ont un planning très chargé et peu d'appétence pour le détail. Et un support de soutenance orale efficace est nécessairement aéré et concis, avec peu d'éléments rédigés et de longues phrases. Autrement dit, l'écueil majeur est la simplification à outrance, passant très souvent par le mensonge par omission (volontaire ou pas) : ce qui n'est pas sur le support n'existe pas. D'autant que c'est bien connu, il faut savoir prioriser les sujets : la tentation de la démonstration en trois points, pas un de plus, est très forte.

Un autre problème avec le support PowerPoint est la pensée magique qui voudrait que ce qui est représenté reflète nécessairement la réalité. Attention, ce n'est ni un outil de modélisation, ni un outil de planification. Et ce n'est pas parce que deux boîtes sont reliés par une flèche qu'il existe une relation de cause à effet entre elles. La boîte à outil graphique qu'offre PowerPoint peut être trompeuse sur ce point, pour un auditoire non averti, ou qui se satisfait d'une simplification extrême.

L'armée n'est pas épargnée par la montée en puissance de ce logiciel, notamment de l'autre côté de l'Atlantique. Il n'y a qu'à voir des sites comme Army Study Guide ou Military .PPT Classes. La plupart des briefings et des réunions de planification stratégiques, mais aussi des formations "théoriques", depuis le début des années 2000, ont pour support une présentation PowerPoint. Ceci s'est fait au détriment de supports plus rédigés, forcément moins sexy et moins digestes, mais peut-être aussi plus complets.

Donald Rumfeld, secrétaire à la Défense de George Bush de 2001 à 2006, avait souhaité introduire des "bonnes pratiques" de management de l'entreprise au Pentagone, afin de rendre l'administration plus efficace. Ceci avait entraîné un recours intensif à PowerPoint, notamment dans l'optique de la préparation de l'invasion et de la reconstruction de l'Irak. C'est ce que raconte Thomas E. Ricks dans son ouvrage Fiasco: The American Military Adventure in Iraq, ajoutant ainsi une raison à la situation très embourbée actuelle. Ainsi, les décideurs se sont laissés convaincre par des idées présentées de manière élégante et simple, à l'aide de petits schémas, sans forcément aller au-delà pour éprouver la solidité des arguments qui les sous-tendaient. De même, les plans de bataille étaient diffusés sous la formes de supports PowerPoint imprimés. Il semblerait que depuis le départ de Rumsfeld, cette pratique du PowerPoint tout azimut n'ait pas survécu au Pentagone.

La victoire en Irak, c'est pas si compliqué sous PowerPoint !
Crédits : Thomas Ricks

Qu'on ne s'y trompe pas, PowerPoint est un outil très utile, mais qui doit être confiné à ce pour quoi il a été conçu. Une belle présentation ne se substitue pas à l'étude de fond qui a permis de la constituer. Une planification stratégique n'est pas une conférence publique de Bill Gates ou Al Gore, durant laquelle le support n'est souvent qu'un faire-valoir secondaire devant le charisme de l'orateur.

Pour finir, une citation de Thomas E. Ricks :
That reliance on slides rather than formal written orders seemed to some military professionals to capture the essence of Rumsfeld's amateurish approach to war planning

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6 commentaires:

Frédéric a dit…

''La carte n'est pas le territoire'', cette axiome vaut encore de nos jours malgré ''google maps'' ;)

EGEA a dit…

Merci de me citer à plusieurs reprises. Pour venir au fond de votre article, je vous suis parfaitement. PPT est un outil qui facilite la transmissions du message, mais encore faut-il que celui-ci existe,e t qu'il ait été pensé. De ce point de vue, l'écrit permet uen complexité bien lus grande.
Je corrigeais un devoir de préparation au CID sur l'écrit, comme critère d'humanité (en gros). Et il y a vait deux troisièmes parties possibles, à mon sens : soit l'écrit va céder le pas à une nouvelle forme de langage, à la fois plus audio visuelle et plus électronique, soit il va se maintenir grâce à ses qualités qui conjuguent à la fois la complexité (de la pensée et donc de l'appréhension de la réalité, elle même complexe) et la simplicité (permanence, diffusion, accès, etc.). Et je ne sais pas laquelle choisir....
O. Kempf

JGP a dit…

@OK : si je vous cite c'est qu'il faut bien avouer que vos articles ont été mon inspiration de la semaine.

En effet, PowerPoint est trop souvent pris pour ce qu'il n'est pas, à savoir le maillon essentiel de la chaîne de réflexion (et non pas seulement un élément de communication synthétique, à utiliser à bon escient !)

Jean-Pierre Gambotti a dit…

Soutenir la thèse que le fiasco irakien trouve son origine dans l’addiction des planificateurs américains pour le PPT est pour moi cocasse et extravagant! Imaginer que les planificateurs du Pentagone raisonnent la guerre en bricolant des « slides » sur un logiciel de présentation est même de l’ordre de la caricature pour rester dans l’euphémisme. Je n’ai pas lu « Fiasco » et je ne veux pas faire dans la provoc, mais je trouve le transparent raillé par Thomas Ricks particulièrement explicite et pertinent. C’est la représentation simple d’un problème particulièrement complexe, c’est un support didactique de grande qualité à commenter et destiné à faire comprendre la guerre pensée par des experts à des néophytes, qui, tragiquement mais démocratiquement, en sont les décideurs. Il faut étudier avec attention ce transparent. Le fiasco irakien réside principalement dans le « civilian lead » et les petites turpitudes politiques washingtoniennes décrites par Bob Woodward dans Plan d’attaque. Ce fiasco est aussi dans le concept rumsfeldien de la guerre hyper-technologique, moins dans son « approche d’amateur » de la planification qui n’était pas de son ressort.
D’une façon générale je suis assez d’accord sur l’aspect créaticide des « guidelines » qu’il faut savoir dépasser, mais en l’occurrence le PPT ne pas peut tuer, me semble-t-il, les bonnes idées, au pire permet-il aux médiocres d’être détectées avant de passer la rampe. Mais il faut un cerveau dans la boucle pour que PPT ne reste qu’un outil.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

JGP a dit…

@Jean-Pierre Gambotti
Merci de ce commentaire.

Les aspects liés à PPT ne sont qu'un des points soulevés par Ricks dans son ouvrage Fiasco. Son argumentation globale repose principalement sur une approche stratégique d'ensemble défaillante ainsi que des rapports entre des politiques comme Rumsfeld ou Wolfowitz et l'armée.

Je suis tout à fait d'accord sur l'apport que peut avoir PPT pour faire passer simplement des messages sur des situations complexes. Mais il faut faire attention, comme le souligne Olivier Kempf, à ce que ces messages s'appuient sur une réflexion amont formalisée et rigoureuse, i.e. que derrière le support PPT il existe bien une analyse des situations complexes qu'il dépeint. Ce que souligne Ricks c'est qu'apparemment les supports PowerPoint utilisés dans ce cas comportent une part de "pensée magique", au sens où la stratégie et l'évolution qu'ils présentent dans un grain macroscopique est peu étayée par ailleurs par des éléments plus concrets/tangibles/objectifs. En somme, une perte de lien entre la présentation et la réalité...ce qui ne semblait pas déranger tout le monde au Pentagone à cette époque. En outre, s'il permet effectivement de vulgariser, de synthétiser (dont en effet pertinent pour résumer des concepts auprès de décideurs peu versés dans l'opérationnel), PPT (surtout si l'on applique à la règles les bonnes pratiques de présentation) est nécessairement "aéré", ce qui signifie que l'on sacrifie la granularité nécessaire à partir d'un certain niveau opérationnel.

Évidemment, ce n'est pas la faute de PowerPoint, qui pour sa part affiche ce qu'on lui dit d'afficher (et le fait même très bien).

Bref, ne pas blâmer l'outil mais plutôt ceux qui en font un usage trop exclusif ou détourné.

Cordialement,
JGP

Cadfannan a dit…

J'ajouterais un autre effet pervers du PPT: la distraction. Lorsque l'objectif numero un de chaque cellule d'un Etat-major est de présenter de jolis slides au chef, et qu'on y consacre donc une grande partie, pour ne pas dire la majeure partie de son énergie et de son temps, on perd forcément en temps de réflexion. Et quand je dis jolis slides, le mot important c'est bien "jolis", parce qu'il faut des belles images, des tableaux flashis et des insignes qui vont bien.
Au dela de la tendance naturelle à vouloir faire plaisir à son chef et lui en mettre plein la vue pour se faire remarquer et montrer que c'est dans notre cellule qu'on travaille le plus, il y a un problème plus vaste, à mon sens à mettre en relation avec la tendance à l'hyper technologisation de la guerre (qui vient elle-même de celle de la société). L'outil devient un but en lui-même: ainsi tout comme on ne veut plus un téléphone portable pour téléphoner, mais pour avoir un téléphone portable, on ne fait plus des slides ppt pour appuyer son exposé mais parce qu'il faut faire des slides ppt.