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dimanche 23 mars 2008

De la dissuasion nucléaire française

L'info de ces derniers jours est bien entendu l'inauguration par Nicolas Sarkozy du Terrible, dernier né de la composante sous-marine de la dissuasion nucléaire française. Pour rappel, celle-ci comprend également une composante aérienne, historiquement la première par le biais des Mirage IV (remplacé dans cette mission par le Super Etendard et le Mirage 2000N) dès 1964, mais dont l'importance diminue depuis des années. On n'oubliera pas non plus le plateau d'Albion, désarmé de ses missiles balistiques en 1996.

D'environ 500 ogives dans les années 1980 (son maximum), l'arsenal nucléaire français passera, selon le dernier discours présidentiel, à moins de 300 (après la réduction annoncée dans les Forces Aériennes Stratégiques), mais la dissuasion devrait rester dans le Livre Blanc publié très prochainement, un élément essentiel de l'effort de défense national.

Mais à quoi sert cette force de frappe, qui est (officiellement) l'apanage de moins de dix pays dans le monde ?

Petit retour en arrière...
La dissuasion française a été bâtie dans les années 1960, dans le contexte de la Guerre Froide, pour faire face à la menace soviétique :

  • dans une optique politique : l'objectif n'est pas d'utiliser l'arme nucléaire comme une arme conventionnelle, mais d'empêcher la guerre
  • avec une posture "du faible au fort" : la force de frappe française devait, dans le "cahier des charges" originel, pouvoir en cas d'agression porter un coup très sévère à l'économie et la société de l'URSS, même si l'armée conventionnelle de celle-ci était beaucoup plus puissante
On ne fera que souligner ici que le nucléaire, militaire et civil, est un domaine (quoiqu'on en pense relativement à l'écologie / la lutte pour le désarmement) dans lequel la France, grâce à ses efforts scientifiques et industriels, entrepris depuis plus d'un demi-siècle, est l'un des leaders et tous premiers exportateurs mondiaux.

Concernant la menace, qu'en est-il aujourd'hui ? L'URSS n'est plus, et les menaces de type terroriste -hors éventuellement relevant du "terrorisme d'état"- ou plus généralement asymétriques (c'est-à-dire dont les porteurs ne suivent pas les mêmes conventions -armes, moyens, modes opératoires, distinction militaire/civil...- qu'un pays possédant une armée "classique" : groupes terroristes, guerillas, associations subversives...) ne se prêtent pas vraiment à la dissuasion nucléaire.

On parle beaucoup de l'Iran (pour mieux ignorer le Pakistan, dont les experts nous disent que la chaîne de contrôle de l'arme nucléaire est totalement sécurisée et hors de portée des islamistes ?) en ce moment comme d'une possible menace justifiant la possession de la bombe...d'un autre côté, les critiques crient à l'argent public gaspillé (plus de 3 milliards d'euros annuels, au détriment de la justice, de l'éducation, du logement...les postes ne manquent malheureusement pas) et/ou à l'hypocrisie de la France donneuse de leçons (à l'Iran notamment), qui dit vouloir empêcher la prolifération nucléaire tout en entretenant son propre arsenal.

La France utiliserait-elle l'arme nucléaire en cas d'attaque de l'Iran contre ses intérêts vitaux ? Ceux d'un autre pays européen ? Sans blanc-seing des Etats-Unis ? Et comment réagiraient la Russie ou la Chine ? Restons sérieux quelques instants, à moins que l'Iran ne s'engage dans une attaque tous azimuts de grande ampleur (d'Israël en premier lieu ? Dans ce cas ce pays aurait probablement recours à sa propre capacité nucléaire), aucune chance que les M51 intercontinentaux du Terrible soient tirés...

Bref, au-delà du prestige, de la volonté de faire partie des happy few ou du soutien à quelques champions nationaux, comment justifier au XXIème siècle la possession d'une arme nucléaire ?

C'est assez simple :
  • La dissuasion nucléaire est un club très fermé, au ticket d'entrée très élevé (en investissements, en recherche scientifique, en soutien de l'opinion publique...), qui nécessite donc des années d'efforts (voire des décennies pour une optimisation de la force de frappe dans son ensemble). Et dans le cas particulier des sous-marins, le nucléaire embarqué ou le fait d'être capable de tirer depuis les profondeurs de l'Océan sont des petites prouesses technologiques, que la Chine a pour le moment du mal à maîtriser.
  • On peut se demander si, à moyen terme, du fait dans un premier temps de possibles tensions sur les matières premières et de l'énergie, la situation ne va pas évoluer vers un retour à des conflits plus symétriques que ce que nous vivons actuellement (Al Qaïda, qui par ailleurs doit être combattue avec la plus grande vigueur -la question de la meilleure stratégie est encore ouverte à ce jour- aurait bien du mal à menacer les intérêts vitaux de la nation), avec des pays "stables" dotés de forces militaires importantes adoptant des attitudes agressives, menaçant la France.
  • Sans voulant jouer les prophètes apocalyptiques, la situation "du faible au fort", avec le rôle du faible joué par la France, peut réapparaitre dans un horizon plus ou moins lointain, et l'option de la dissuasion nucléaire (dans un cadre strictement politique) est dans ces cas-là toujours une carte intéressante à pouvoir abattre, ce qui sera impossible si une décision vient aujourd'hui démanteler la force de frappe française
  • En effet, un des critères d'efficacité sine qua non d'une dissuasion nucléaire est sa crédibilité : scientifique et technique (sur l'ensemble de la chaîne) mais aussi politique (les "menaces" éventuelles ne doivent pas pouvoir douter du recours à l'arme nucléaire en cas d'attaque contre les intérêts vitaux)

Une dernière remarque d'ordre théorique : on dit que la dissuasion nucléaire est "défensive" :
  • Elle n'a vocation en effet à être utilisée (si elle doit l'être effectivement, mais ce n'est pas sa fonction première) qu'en cas d'attaque extérieure
  • Elle s'applique en cas d'attaque sur l'ensemble du territoire national (le "sanctuaire" de la doctrine)
  • Elle est permanente (dans le temps)
Mais elle relève aussi d'éléments offensifs :
  • Elle est très ciblée sur un ou des points stratégiques de l'adversaire
  • Elle est concentrée dans le temps (un tir de missile, un largage de bombe...)

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