Le mois dernier, je faisais ici un résumé de l’intervention du général Jean-Robert Morizot lors de la conférence « Défense-Aéronautique : quelle adaptation des stratégies des industriels », sur le thème « quelles attentes des armées face aux industriels de la défense ? ». En ce mois de mai, je reviens succinctement sur les paroles du DGA Laurent Collet-Billon, qui avait ouvert la conférence.
Même sans révélation fracassante, l’intervention de Laurent Collet-Billon résonne d’une façon particulière, au lendemain d’une campagne présidentielle pauvre sur le plan international mais avec quelques saillies sur l’importance de l’industrie française, dont notre BITD est une part non négligeable (250 000 emplois avec la sous-traitance).
Un constat pour commencer : les USA, dont la suprématie technologique et militaire est et sera de plus en plus contestée par l’Asie (le DGA mentionne ici implicitement la Chine, mais il est vrai que ce terme est extrêmement vague d’un point de vue géopolitique), se désengagent de l’Europe. Cette dernière doit donc, même si elle a du mal à y croire, assumer sa propre défense ; ce dont aucun des pays membres de l’Union Européenne n’est actuellement capable. Alors que les budgets militaires indiens et chinois ne cessent de croître, que celui des Etats-Unis reste loin devant tous les autres, seuls les Britanniques sont dans une démarche similaire à celle des Français sur le Vieux Continent. Ainsi les deux pays couvrent à eux seuls les 2/3 de la Recherche & Développement de défense de l’UE, alors que les autres pays sont plus favorables aux achats sur étagère (aux Américains principalement).
France et Royaume-Uni figurent d’ailleurs dans le Top 5 des producteurs d’armements dans le monde – relativement stable ces dernières années, représentant 90% des ventes –, avec la Russie, Israël, et bien évidemment les Etats-Unis, qui « jouent dans une autre cour ». Une hiérarchie qui est de plus en plus remise en question par les émergents, chinois bien sûrs, mais également coréens (notamment dans le naval) ou turcs. Ces nouveaux acteurs, sans surprise, s’appuient sur les transferts de technologies – car il est aujourd’hui impossible d’exporter sans montrer qu’il y a création de valeur locale – pour monter en puissance, et essayer de transformer leurs achats à l’étranger d’hier ou d’aujourd’hui en ventes demain. Toujours est-il que la France, qui a réalisé 6,5 milliards d’euros de ventes à l’export en 2011, a un catalogue qui pour Laurent Collet-Billon constitue une alternative crédible à l’offre américaine sur son périmètre, permettant à ses clients (d’une diversité régionale assez importante) de disposer d’une « souveraineté réelle ».
Notre pays pousse l’émergence d’une BITD de dimension européenne, hormis sur certains domaines comme la dissuasion ou la cryptographie. Ce qui n’est pas l’idée de tous les membres de l’UE dont certains, au-delà de l’appétence citée plus haut pour le made in USA, favorisent une mise en concurrence totale au sein de l’Union, y compris pour ce qui touche aux études amont (les Suédois notamment, champions du low cost dans l’aéronautique). En tout état de cause, la mutualisation semble être le seul moyen de pallier l’augmentation qui semble sans fin des coûts des programmes d’armements depuis la Deuxième Guerre Mondiale (de 2% par an pour les équipements à faible contenu technologique comme les véhicules de transport de troupes à 5% par an pour les chars de combat).
Nous ne sommes cependant pas prêts à la mise en place d’une Europe de la défense de l’Atlantique à la Mer Noire, pour des raisons tant politiques qu’économiques. Mieux vaut s’appuyer sur un petit noyau de bonnes volontés et des initiatives bien ciblées pour obtenir des résultats concrets sans dilapider les faibles moyens dont nous disposons, tout en assurant l’alignement avec nos objectifs stratégiques. Laurent Collet-Billon, préconise donc pour avancer rapidement de privilégier les échanges bilatéraux avec le Royaume-Uni, à l’image des accords de Lancaster House en 2010, et de laisser les autres pays de l’UE adhérer ou non. Inutile de dire que devant une assemblée où EADS était bien représentée, et dans le contexte politico-budgétaire actuel, de tels propos ont entrainé la question de l’axe franco-allemand. Le DGA a répondu qu’il était très dubitatif sur la volonté de nos amis d’outre-Rhin de coopérer dans le domaine de la défense, et a souligné la divergence de vision entre nos deux pays. Une divergence qui s’est manifestée notamment dans le partage industriel relatif à l’A400M, ainsi que dans les variations concernant les volumes commandés.
Autre moyen : les « travaux pratiques », pour reprendre l’expression de Laurent Collet-Billon, où autour d’un projet amont, la coopération se fait d’abord entre industriels (et non entre Etats), qui ont la responsabilité d’assurer l’adhésion de leur pays ; ce qui peut être aléatoire dans un contexte de cloisonnement encore fort des marchés nationaux. Ceci doit permettre à la fois de mettre en valeur la R&D de l’UE et de préparer de futurs programmes communs, tant sur les aspects technologiques que sur la gouvernance desdits programmes.
Dans une intervention où l’Agence Européenne de Défense n’a, à ma connaissance, pas été citée, le DGA est également revenu sur le nécessaire soutien aux petites entreprises innovantes, donnant l’exemple du dispositif RAPID, sans lequel « nous nous ferons bouffer ».
En résumé, la pérennité de notre BITD nationale passe paradoxalement par une plus grande coopération, mais réfléchie et ciblée, avec (certains de) nos partenaires européens, même si cela ne va pas jusqu’à une « Europe de la défense ». Ceci, pour paraphraser Ulrich Beck, nécessiterait certainement de mettre de côté une partie de notre autonomie, mais favoriserait un gain réel de souveraineté à plus long terme.
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