Je reproduis ici ma première chronique mensuelle consacrée à l'industrie de défense pour l'Alliance Géostratégique.
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Pour inaugurer ma nouvelle chronique mensuelle sur Alliance Géostratégique dédiée à l’industrie de défense, je souhaite revenir sur le Rapport d’Information sur les PME et la Défense déposé le 13 juillet dernier par la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées de l’Assemblée Nationale.
Dominique Caillaud et Jean Michel, qui ont présenté le rapport d'information
Florent de Saint Victor (Mars Attaque) a déjà adressé le sujet en soulignant la dimension « intelligence économique » des recommandations du rapport (De l’intelligence économique pour les PME de la défense ?). Ce dernier aborde également deux autres aspects importants, à savoir le soutien à l’innovation et le lien entre PME et grands groupes.
Incidemment, il s’agit de thèmes développés dans mon intervention « État, grande stratégie et protection de l’économie » lors du colloque « Guerre et Économie » du 1er juillet à l'École Militaire. Une manière de dire que la plupart des constats et des grands axes de progrès sont partagés, mais que leur mise en œuvre effective pose problème.
Une situation d’ensemble difficile
Le contexte, pour les 4000 PME (en comptant celles ayant des activités duales) de défense, est en France marqué par :
- une baisse des commandes militaires
- une diminution des crédits de Recherche & Développement (qui s’expriment notamment au travers des Plans d’Etudes Amont financés par la DGA)
Ceci pousse un grand nombre de PME de défense (secteur exigeant en dépenses liées à l’innovation) développant des produits duaux à privilégier les débouchés civils. Ainsi le rapport d’information évoque une étude réalisée par la CCI de Lyon auprès d’un panel de 120 entreprises selon laquelle la part du militaire dépasse les 50% du CA dans seulement 20% des cas. Tout cela n’est évidemment pas nouveau et touche également nos plus grands acteurs industriels (voir La tentation du civil des fleurons du militaire). Toujours est-il que l’impact à moyen et long terme sur l’indépendance stratégique de la France ne doit pas être sous-estimé. Ne serait-ce que parce que, même si le contexte économique mondial actuel est particulièrement morose, des acteurs émergents (qui ont en fait émergé depuis un certain temps) et certains de nos « partenaires » mettent l’accent sur l’acquisition et le développement de savoir-faire de souveraineté au travers d'investissements massifs en R&D.
D’autant que les PME portent une part importante des capacités d’innovation, de rupture, et constituent un maillon important de l’ancrage territorial de l’économie nationale et de notre base industrielle de défense. Avec un maillage qui par rapport à celui de notre voisin allemand, disposant par ailleurs d’un Mittelstand (entreprises de taille intermédiaire) dense et conquérant (voir Le Mittelstand, notre chaînon manquant), est assez lâche.
De plus, comme le souligne le rapport, le cadre règlementaire (notamment les marchés publics de défense) ne favorise pas les PME, cantonnées aux rôles de sous-traitants et en situation de forte dépendance vis-à-vis des grands groupes, qui sont souvent leurs clients quasi exclusifs, qui sont tentées d’en prendre le contrôle capitalistique et qui jouent le rôle de maître d’œuvre dans les grands programmes publics. L’absence de statut de primo-contractant empêche le référencement par les attachés d’armements des ambassades, ce qui nuit au développement international. On voit là une marge de progrès dans la coordination des différents organismes publics de soutien à l’exportation.
Pour une meilleure coordination des efforts de R&D
Le rapport souligne les efforts déjà engagés pour soutenir la R&D au sein du secteur de la défense et du tissu de PME, tout en mettant en exergue leur extrême dispersion. On peut ainsi citer :
- Le dispositif RAPID mis en œuvre par la DGA et la Direction Générale de la Compétitivité, de l’Innovation et des Services (DGCIS) dépendant de Bercy, visant à favoriser les technologies duales au sein des PME (j’en parlais lors de sa création en 2009) au travers du financement de projets innovants
- Les pôles de compétitivité, mis en œuvre à partir de 2005, et dont plusieurs concernent au premier chef la défense (System@tic, Aerospace Valley…), qui au-delà de la mise en réseau locale de différents acteurs d’une filière sont le vecteur de financement de projets de R&D, au travers de fonds (Fonds Unique Interministériel) gérés par OSEO et alloués par la DGCIS
- Les actions mises en place au niveau régional (fonds de garantie…) qui viennent en complément des actions nationales
- Le Fonds Stratégique d’Investissement, doté de 20 milliards d’euros, ce qui en fait le vingtième fonds souverain au monde (même si les PME de défense ne sont pas spécifiquement identifiées comme les cibles privilégiées !)
Au-delà de la relative jeunesse de ces initiatives qui empêche d’en mesurer pleinement les effets, il convient de relever l’absence de coordination d’ensemble, notamment inter-régionale (doublons sur le laser entre l’Aquitaine et le Rhône-Alpes par exemple). Le rapport ne fait ainsi que rappeler l’importance de définir des orientations stratégiques et de s’y tenir, afin de canaliser au mieux l’utilisation de ressources (relativement) limitées. Cela souligne en creux le non-respect (sur ces sujets) des axes portés par le Livre Blanc de la Défense, mais qui s’en souvient ?
Et les auteurs de souligner le nécessaire « engagement politique » au niveau national qui doit permettre de se concentrer, alors que la France n’est ni un petit pays ultra-spécialisable ni une hyperpuissance pouvant se permettre des investissements tout azimut, sur les secteurs devant garantir notre avenir (indépendance stratégique et pérennité économique). Les 71 (!) pôles de compétitivité illustrent bien cette incapacité à décider et faire des choix clairs quant au périmètre stratégique de notre économie (d'autant que les PME ont souvent du mal à se tailler la part du lion dans les projets financés sur fonds publics). Certes l’échelon régional est déterminant dans le domaine économique, et l'État doit savoir déconcentrer et décentraliser. Cependant les collectivités territoriales ne sont pas les entités les plus qualifiées pour accompagner la définition d’un « business model » national, en lien avec les acteurs industriels. Ceci dit, les parlementaires n'indiquent pas les modalités de la coordination nationale qu'ils appellent de leurs vœux.
En ce qui concerne le montant des aides publiques à l’innovation, le rapport reste modeste, au vu, nous l’avons évoqué, du contexte économique et financier actuel : si une hausse des crédits liés à la R&D de défense apparaît indispensable (il est rappelé l’objectif d’un milliard d’euros à horizon 2014 défini de la Loi de Programmation Militaire de 2009 ainsi que la « sanctuarisation » de 3,5% des crédits alloués à la mission « Défense » pour la R&D), elle apparaît peu crédible à très court terme. Le rapport recommande cependant de confier à la DGA « une enveloppe de 20 millions d’euros mobilisables très rapidement pour soutenir l’innovation et aider les PME », sans être vraiment très clair sur la destination exacte de cette enveloppe, ni sur le pourquoi d’un tel montant. Ce manque de moyens rend d’autant plus crucial le choix de priorités réalistes, et donc nécessairement limitées (objectif difficile à atteindre en période pré-électorale ?).
Pour un jeu plus collectif entre PME et grands groupes de défense
Le relatif manque de coordination existe aussi au sein du secteur défense, entre grands groupes (nos fleurons que sont les EADS, Thales, Dassault…) et entreprises intermédiaires ou plus petites. Ainsi le rapport précise que l’écosystème allemand est marqué par une plus grande cohésion entre ces deux catégories d’acteurs.
Et ceci, malgré les initiatives françaises telles que celles mises en œuvre par les groupements professionnels, qu’ils soient :
- verticaux (i.e. au sein d’un même domaine : GICAN, GIFAS et GICAT) : groupes de travail spécifiques aux PME, visant à favoriser leur accès aux marchés à l’étranger, une meilleure circulation de l’information avec leurs donneurs d’ordres (i.e. les maîtres d’œuvre), la défense de leurs intérêts spécifiques…
- horizontaux (Comité Richelieu et Pacte PME, association visant à promouvoir les liens entre grands groupes et les PME) : mise en réseau et diffusion de bonnes pratiques
Le rapport préconise donc, afin notamment de bâtir une meilleure « équipe France » sur les marchés à l'étranger, de revoir ce lien entre grands groupes et PME. Ceci en premier lieu en faisant sortir ces dernières de leur statut exclusif de sous-traitants (par exemple en leur confiant directement des PEA comme mentionné ci-dessus), seul moyen de les faire gagner en taille et poids. Mais également en adaptant le cadre réglementaire des marchés publics, afin
- d'éviter ou de limiter certains effets pervers de la sous-traitance en cascade. Même si cela n'est pas spécifique à la défense, les maîtres d'œuvre ou primo-contractants reportent sur leurs propres fournisseurs une bonne part de leurs efforts de flexibilité
- d'améliorer les critères d'évaluation des candidats à un marché, en se demandant par exemple si le chiffre d'affaires (qui amène fréquemment à écarter des PME) est déterminant pour juger de la solidité financière d'une entreprise, si celle-ci a montré par ailleurs sa pérennité et sa crédibilité
Finalement, sans la nommer, les rapporteurs avancent l'idée d'un Small Business Act à la française, l'un des chouchous des promoteurs du concept de « patriotisme économique » (voir par exemple Patriotisme économique : de la guerre à la paix économique de Bernard Carayon). Ceci dit, même les Américains montrés en exemple en saisissent les limites, car ils pêchent par manque de discrimination, en confondant souvent « petite entreprise » et « jeune entreprise ».
Ce rapport d'information contient finalement peu de nouveautés sur l'aspect innovation (reprenant les conclusions de la LPM de 2009) et apporte peu de réponses opérationnelles sur les problèmes cruciaux qu'il soulève. Étonnamment, il n'aborde pas la dimension européenne hormis pour évoquer la relative fermeture de certains marchés nationaux. Il ne parle pas de fiscalité ni d'accès aux financements non publics. Il met cependant le doigt sur des faiblesses qui nécessitent une sensibilisation de longue haleine pour assurer la diffusion des bons messages auprès de nos décideurs politiques et leur appropriation. Il est vraiment temps que nos PME de défense (mais pas seulement) disposent d’un environnement leur permettant de se développer, si bien sûr elles sont performantes, et de se transformer en entreprises de taille intermédiaire. Ceci est indispensable pour assurer de façon pérenne notre souveraineté économique et technologique.