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jeudi 17 juin 2010

Jomini et logistique : la coïncidence de l'oubli ?

Il semblerait que la communauté stratégique manifeste un certain désintérêt pour la question de la logistique, au profit du nucléaire, des conflits asymétriques ou même de la privatisation de la guerre.

Faut-il y voir une simple coïncidence avec le fait qu'Antoine-Henri de Jomini, théoricien des "lignes stratégiques", de la "grande tactique" ("art de bien combiner et bien conduire les batailles") et inventeur pour certain de la logistique ("art pratique de mouvoir les armées") militaire moderne, soit aujourd'hui largement oublié ?


De son vivant (il est décédé en 1869) il éclipsait en Europe et aux Etats-Unis son contemporain le grand Clausewitz, qui dans son Vom Kriege a d'ailleurs critiqué les premiers écrits de Jomini, jugés excessivement rationalistes et ne prenant pas du tout en compte les aspects immatériels et l'incertitude de la guerre. Au point que l'historien britannique Michael Howard ait écrit que le Précis était "le plus grand manuel militaire du XIXème siècle". Le Prussien a largement "pris sa revanche" (posthume), peut-être parce qu'il était effectivement plus percutant. Même si Mahan et d'autres ont contribué par la suite à l'essence jominienne de l'armée américaine.

Il faut dire que sa systématisation poussée des types de guerre et de ses facteurs ou son désir de décrire les axiomes fondamentaux et immuables de la stratégie ne l'ont peut-être pas totalement servi. Apparemment, ses écrits ont souvent été interprétés comme contribuant à faire de l'art de la guerre une science positive. En témoigne ce qu'en dit en 1902, à tort ou à raison, Bonnal, (oui celui des "grandes charges de cavalerie") alors commandant de l'Ecole Supérieure de Guerre, dans son De la méthode dans les hautes études militaires en Allemagne et en France :

L'étude de la guerre doit avoir pour base l'expérience de ceux qui nous ont précédés dans la carrière ; et tout système de guerre édifié par voie déductive sur des principes généraux érigés en axiomes dans le genre de ceux qui figurent dans le précis de Jomini doit être rigoureusement écarté comme décevant et dangereux.

Pour autant, quand on regarde les conflits d'aujourd'hui (XXIème siècle), faits de coalitions internationales, d'opérations interarmes, de théâtres très éloignés des bases nationales, on se dit que Jomini est on ne peut plus d'actualité. D'autant plus si l'on a en tête sa "préférence" pour les guerres limitées face aux conflits d'extermination ; ce que d'aucuns lui ont d'ailleurs reproché, y voyant un manque d'anticipation des guerres du XXème siècle.

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2 commentaires:

ZI a dit…

Je ne pense pas que ce soit la systématisation qui soit véritablement le problème. C'était finalement un aspect plutôt intéressant du livre.

Ce qui m'a frappé en lisant la version abrégée (ce qui est regrettable mais passons), c'est qu'au fond c'est d'abord et avant tout un manuel. On est a l'époque de la création des académies militaires, ou les officiers deviennent de véritables professionnelles. Jomini débarque à point nommé avec son bouquin qui pourrait très bien s'appeler "l'armée en campagne pour les nuls".

Autre facteur qui joue, Napoléon. Jomini écrit toujours en référence à Napoléon. Hors à la fin du XIXeme, c'est plus la France qui est la grande puissance militaire du moment, c'est l'Allemagne.

Au fond, ce qui sans doute dessert le plus Jomini c'est ce qui faisait sa qualité. C'est un bon manuel,alors que Clausewitz donne à son œuvre une ampleur bien plus considérable.

JGP a dit…

Je dois avouer que ce petit billet était clairement un appeau à Zeus Irae, étant donné d'une part le thème du mois AGS et d'autre part tes écrits concernat Jomini sur ton blog.

Je suis d'accord sur Napoléon et je dirais même que les très nombreuses références historiques liées à Napoléon, et donc à son expérience personnelle, ont desservi Jomini.

Concernant la comparaison avec Clausewitz, je pense que les deux ne parlent pas tout à fait de la même chose, le Prussien élargissant la réflexion et faisant finalement un peu de philosophie politique.