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lundi 7 décembre 2009

Doit-on abandonner les chars ? Par Jean-Pierre Badellon

Cet article a originellement été publié dans la revue Mines Ingénieurs #442 de septembre-ocotobre 2009. Il est reproduit ici dans son intégralité avec l'autorisation de son auteur et du comité de rédaction de la revue. Il est simultanément publié sur l'Alliance Géostratégique.

L’objet de cet article est d’ouvrir la discussion sur l’utilité du char après que ses détracteurs ont dit qu’il ne correspondait plus au nouveau type de guerre, qu’il était immobilisé par le moindre cocktail Molotov, qu’il se trompait d’ennemi et que l’hélicoptère lui était bien supérieur.


Le cahier des charges du véhicule blindé.


La notion de char a évolué avec l’apparition de véhicules blindés, munies de chenilles ou de 2, 3, 4 voire 5 essieux moteurs (10 roues).

Tous les véhicules blindés doivent être protégés contre les embuscades et les mines. Ils doivent avoir un armement qui est servi de l’intérieur et disposer d’instruments de visée et de conduite de tir sophistiqués. Un même véhicule blindé doit pouvoir se décliner en version d’attaque, d’appui fantassin, de dépannage, de commandement voire d’ambulance. Certains présentent donc des mortiers de 105, des canons de 105, 40, 30 ou 25 et naturellement des mitrailleuses.

Le véhicule blindé doit envoyer des leurres pour tromper les missiles (qu’il est censé détecter à temps) et transporter, outre son équipage de 2, 3 ou 4 hommes, des fantassins dont le nombre peut aller jusqu’à 12. Curieusement les véhicules blindés ne sont pas peints avec des peintures anti infra rouges. Les peintures du fabricant PPG américain, homologué par la DGA, n’en ont que le nom.

Les liaisons radio doivent se faire avec le PC et avec les fantassins qui l’entourent.


En résumé tous les fabricants ont tous à peu près les mêmes cahiers des charges et devraient donc conduire les armées européennes à opérer des économies d’échelle en incitant ceux-ci à se spécialiser.


Dans la pratique, on distingue :

· Le véhicule blindé à chenilles de 60 à 70 tonnes capable de rouler à 65 km/h. C’est le char lourd qui pèse dans les 65 tonnes et doit se déplacer à la vitesse de 65km/h. Aussi dispose-t-il d’un moteur de plus de 1300 CV. Son prix dépend de son armement et des instruments (repérage, contremesure etc.). Le prix de revient se situe autour de 8 M€ et ne comprend pas celui des innombrables marchés d’études qui ont conduit à la définition de son cahier des charges ou ensuite à ses mises aux normes successives.

· Le véhicule blindé à chenilles de 25 à 35 tonnes et capable de rouler à la même vitesse. C’est le char léger.

· Les véhicules blindés à roues, de 25 à 35 tonnes, tous capables de rouler à 100 km/h et généralement dotés d’au moins 4 essieux moteurs.

· Les véhicules blindés de 12 à 16 tonnes et dotés d’au moins 3 essieux moteurs.

· Les véhicules blindés de 4 à 8 tonnes et dotés généralement de 2 essieux moteurs.


Le parc européen (Union européenne et OTAN) demeure très stable depuis plus de quinze ans :


On recense les chars Leopard 2 (Allemagne), Challenger (Royaume-Uni), Leclerc (France), ARIETE (Italie), CV90120-T (véhicule de combat d’infanterie lourd produit par la Suède) et les différentes séries T Russes en dotation dans les forces armées de certains Etats d’Europe centrale (et mis aux normes de l’OTAN).

Il n’y a pas de programmes nouveaux significatifs en matière de chars de combat européen à l’exception de celui de la Turquie (Althay développé en coopération avec la Corée du Sud).


Le nombre total de chars opérationnels dans le monde en 2002 serait de 106 000.

chars

Bref tour d’horizon sur les chars lourds


Le char Israélien Merkava a vu sa première version naître en 1970 et se comporte mieux que le M1 A2 Abram dans le désert alors qu’il couterait deux fois moins cher. Le char Leclerc a été mis en service en 1990 et est considéré comme un modèle récent.

Un moteur diesel silencieux V8X 1500 CV (accélération 0-32 Km/h en 5 secondes !),...

Un blindage actif composé de strates qui guident puis coincent les projectiles.

Nous chercherions à vendre 120 chars Leclerc à l’étranger qui seraient prélevés sur le parc existant de 400. Ce qui n’en laisserait pas beaucoup pour le combat puisqu’il faut en réserver un certain nombre pour la formation et l’entraînement.

Au début des années 1970, le gouvernement Ouest Allemand demande aux groupes Porsche, Krauss-Maffei et Wegmann de construire 2 950 chars Leopard 2 entre 1979 et 1992 au prix unitaire de 5,3 millions de dollars en mars 2006 (Source : Forecast International).

Le Japon possède une flotte de 675 chars Type 74 et 225 chars Type 90, soit deux fois plus que la France ou le Royaume-Uni.

Mitsubishi est le maître d’œuvre du T 90, proche du char Leclerc, et fabrique la caisse, le moteur diesel de 1500 CV, le train de roulement et le chargement automatique des munitions. NEC, Fujitsu, Nikon et Fuji collaborent pour des plans d’équipements appelés PMDT (équivalents de la loi de programmation militaire française). Kyoto Ceramic Company fournit le blindage de type composite.

Le char Russe T-90S surpasserait le char américain avec seulement 47 tonnes, 3 membres d’équipage, une autonomie de 550 km avec réservoirs et un prix de dumping de 2.3 millions d’euros.


La coopération européenne dans les blindés


D’après l’Agence Européenne de défense, les forces armées européennes utilisent 20 000 véhicules blindés et devraient, ces dix prochaines années, remplacer 10 000 véhicules (un véritable magot à 3 M€ le véhicule en moyenne) dans les modèles 4X4, 6X6 et 8X8, à roues, pesant de 2 à 30 tonnes, bien armés, bien protégés et transportables par voie aérienne (d’où l‘avion A 400 M qui peut emporter des engins de 25 à 30 tonnes).

L’Agence Européenne de Défense déplore toutefois que les Etats membres ne coopèrent pratiquement pas à l’échelle internationale et qu’ils invoquent (surtout la France), pour ne pas s’y livrer, la sauvegarde du savoir-faire, l’indépendance nationale et l’adéquation de l’outil avec la stratégie militaire.

Pourtant l’exemple d’Airbus est là pour convaincre du contraire les esprits objectifs.


La France et la coopération européenne militaire en matière de chars


De ce point de vue la France, qui n’exporte pratiquement pas de véhicules blindés (sauf 380 chars Leclerc aux Emirats), aurait tout à gagner (en emplois et en chiffre d’affaires) à participer à des programmes communs même en acceptant de jouer les seconds rôles dans les secteurs où elle est moyenne (moteurs) et les premiers rôles là où elle est excellente (visée et tir). Mais cela signifierait que notre DGA ne pourrait plus concocter des marchés d’études récurrents passés à des industriels obligés de lui faire la cour et réduits à construire des « démonstrateurs » sans suite (NDLR).

A noter qu’en 1979 il était question de faire un char commun avec les allemands.

Contrairement à ce que l’on croit (en lisant les journaux français), les fabricants allemands, autrichiens, polonais, danois, finlandais, espagnols et italiens vendent leurs véhicules blindés dans les pays cités (et aussi à l’exportation) dans des quantités significatives qui sont bien plus grandes que les productions françaises. L’anglais fait aussi cavalier seul mais, lui vend beaucoup de véhicules.


Les chars lourds sont peu mobiles mais deviennent plus légers


Les chars lourds doivent circuler sur plate-forme d’un champ de bataille à l’autre.

Les chars Leclerc ne passeraient pas dans les tunnels français, dit-on.

Les chars lourds sont difficilement transportables par avion (en tous les cas pas par le futur A 400 M) et nécessitent une logistique (transport et entretien) coûteuse en moyen et en homme (4 personnes en moyenne).


Mais les améliorations apportées aux chars sont constantes


Avec l’introduction de nouveaux matériaux et de blindage de protection, de systèmes de commandement et de contrôle info-centrés ou non, de moteurs moins gourmands et plus puissants et de chenilles réparables (le point faible), les chars effacent leur handicap..


Mais le char rassure le fantassin à tous les points de vue


Il peut accompagner et protéger une section de manière permanente, ce qui n’est pas le cas des hélicoptères. Il ne risque pas de se planter dans le sable comme l’ont fait les engins blindés à roues LAV 25 canadiens en Afghanistan ou dans de régions à obstacles spécifiques comme les ceps de vignes. Dans la mesure où le fantassin aura toujours le dernier rôle, il faut donc prendre en considération ce fait important (pour le moral).

Les américains ont redécouvert à ce sujet le char et font tout avec leur vieil M1 Abrams pour 5,5 M US$: convoi, opération de combat et de sureté (anti émeute).


Conclusion


Le blindé est toujours nécessaire. Le char à chenilles convient mieux sur les surfaces difficiles là où les rayons de braquage sont faibles. Il faut l’utiliser quand il est absolument nécessaire parce qu’il est trop cher (à l’achat et en entretien) et qu’il ne se transporte pas facilement.


Avant de penser au char, il faut s’assurer de sa vitesse du char, de son blindage, de sa résistance au missile et de la vulnérabilité de ses chenilles. Les véhicules à roues sont plus mobiles et plus confortables dans les déplacements à grandes distances que les engins chenillés. Ils sont moins coûteux à l’achat et consomment moins de carburant. Ils se révèlent plus faciles à entretenir et à dépanner. L'adoption d'une propulsion à huit roues motrices a considérablement accru leur mobilité en tout terrain et a augmenté leur polyvalence. Comme ils peuvent désormais recevoir les mêmes protections et le même armement qu'un engin chenillé, la balance penche en faveur de la solution à roues.

Dans des combats d’importance sur des lieux fixes, le char à chenilles est sans doute encore nécessaire. Il ne risque pas de s’enliser ou de se planter dans des décombres contrairement aux véhicules à roues qui ne peuvent tourner sur place en cas de barrage.

En revanche, dès qu’il s’agit de manœuvrer dans une zone occupée par des fantassins uniquement, le char n’est plus assez mobile et coûte trop cher.

Parlant à ce sujet du char Leclerc, les légionnaires disent de lui: « il faut vraiment avoir des « c…s » pour oser envoyer un cocktail sur un Leclerc qui passe de 0 à 35 km/h en 5 secondes et se dirige vers vous après vous avoir repéré ». Car les chars détectent les éclats lumineux des viseurs optiques et localisent les origines des tirs (par analyse des sons).

Il faut donc laisser au combattant sur le terrain le soin de définir le cahier des charges de son blindé d’accompagnement.

L’armée française engagée en Afghanistan, souhaitait ainsi acquérir rapidement des véhicules blindés sur chenilles suédois BvS10 Viking (produits par BAE Hägglunds) pour le transport de ses unités de montagne déployées en Afghanistan.

Ce VBHM est composé de deux unités distinctes et articulées, l'une à l'avant pouvant transporter cinq combattants, et l'autre à l'arrière, vers lequel la transmission peut être basculée.

Mais leur avis ne fut pas partagé par la DGA chargée de penser à leur place et qui a promu le véhicule de l'avant blindé (VAB 4x4) mal adapté aux routes défoncées d'Afghanistan, incapable de se mouvoir en tout-terrain escarpé et obligeant les fantassins à s’exposer au feu en sortant trop tôt de ce VAB lorsqu'ils s’approchent de l’ennemi. On connaît la suite : dix soldats tués de manière « idiote » lors de l'embuscade d'Uzbeen, le 18 août 2008.

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