Ainsi, seulement 15 des 100 premières sociétés IT mondiales (matériel, logiciel, services, semi-conducteurs, électronique grand public…) ont leur siège social en Europe et parmi elles aucune n’est leader sur son marché. Si l’on regarde le marché européen des SSII, on s’aperçoit qu’il est très morcelé, avec très peu de fournisseurs capables d’adresser les grands appels d’offres internationaux. Les sociétés nord-américaines et (de plus en plus) indiennes en profitent pour placer leurs pions, y compris chez nous, comme en témoigne
le récent rachat de Logica par le canadien CGI pour 2,6 milliards d’euros.
Les emplois du secteur, qui s’élèvent à 3 millions aujourd’hui, quittent le Vieux Continent au profit des pays émergents, notamment d’Asie. Et faut-il le rappeler, on ne parle pas ici que de main d’œuvre non qualifiée, mais aussi de façon croissante des activités de recherche et développement. Rien d’étonnant car la plupart des acteurs, occidentaux ou non, s’orientent vers un modèle global assez uniforme dans lequel les développements sont réalisés en Inde, au Vietnam ou même en Egypte, avec un front office local réduit à sa plus simple expression chargé de gérer la relation client.
Or il est évident qu’une industrie IT vigoureuse est clé pour la compétitivité d’une économie toute entière ne serait-ce que par l’importance prises par les technologies de l’information dans la part de R&D mondiale (qu’il s’agisse de produits de grande consommation ou des domaines touchant à la souveraineté nationale).
Comme le souligne le rapport d’AT Kearney, la tendance s'est accélérée récemment dans d'autres secteurs connexes, tels que les semi-conducteurs, où des entreprises européennes telles que Qimonda ont mis la clé sous la porte.
Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer ce phénomène et en premier lieu, ce n’est pas surprenant, le coût de la main d’œuvre. Ainsi le salaire moyen d’un ingénieur en Europe est de 75900$ en 2010, contre 26800$ en Inde et 16900$ en Chine (voir
page 18), même si les écarts tendent à se réduire.
L'Europe souffre également d'un manque d'ingénieurs et scientifiques qualifiés, en partie dû au manque de valorisation des filières de recherche et à la désaffection pour les sciences à l’université. Ainsi 17% de nos étudiants sont inscrits en sciences, ingénierie ou informatique, contre 31% en Chine. Nous n’avons pas (encore ?) l’attractivité des États-Unis qui compensent le relatif désintérêt de leurs citoyens par un apport massif d’étudiants et de travailleurs qualifiés provenant du monde entier.
Le manque de financement est un autre problème souligné par le rapport. L'Europe investit 15 milliards de dollars de moins par année dans le capital-risque que les USA, selon une étude récente de la Commission européenne. La même étude a montré que l'Europe investit 0,8 point de moins du PIB dans la R&D que l’Oncle Sam et 1,5 point de moins que le Japon.
Des entreprises américaines et asiatiques comme Samsung, Qualcomm, Panasonic, Sony ou LG figurent ainsi aujourd'hui parmi les dix premiers déposants de brevets les plus prolifiques dans l’Union Européenne.
Quelques pistes de réflexion, non inédites ni révolutionnaires, sont avancées par le rapport pour pallier cet état de fait et peut-être faire oublier l’échec la Stratégie de Lisbonne.
Si nous sommes définitivement (?) à la traîne dans l’électronique grand public, nous devons mieux capitaliser sur notre position dans l’ingénierie système (nous avons des systémiers de premier plan) ou l’embarqué (combinant logiciel et matériel) et leurs multiples applications industrielles, de l’automobile à la défense. Cela suppose de se concentrer sur quelques domaines sans vouloir se disperser à courir trop de lièvres à la fois, pour diriger nos maigres moyens financiers sur les bonnes cibles.
Le rapport évoque également la piste, qui peut prendre des allures de serpent de mer, des pôles de compétitivité européens. Ils pourraient permettre de contourner les limitations dues aux cloisonnements nationaux et d’améliorer les conditions de financement des projets de R&D. Encore faut-il que la crise de l’euro nous laisse des marges de manœuvre et surtout que les différents membres de l’UE s’entendent sur la distribution desdits pôles, ce qui n’est pas une mince affaire…
Autre point que j’ai moi-même souvent abordé, le cadre de financement des start-ups innovantes est largement déficient. Sans parler de Small Business Act, il s’agit véritablement d’assurer à nos jeunes pousses les moyens de se développer et faciliter leur transformation en ETI voire en champion national (Quel est l’âge moyen de nos champions nationaux ? Avons-nous des Facebook, Google, Apple, Microsoft ou même IBM ?).
Parce que la technologie passe avant tout par le facteur humain, il convient de renforcer et revaloriser les filières académiques scientifiques et techniques, en s’inspirant de l’exemple des pays nordiques. L’attractivité vis-à-vis des ressources qualifiées est également un facteur clé de compétitivité, même s’il est sujet à polémique en période de crise économique et d’augmentation du chômage.
Enfin, le dernier axe avancé concerne la sécurisation de l’accès aux matières premières nécessaires aux industries high tech, qui ne sont pas purement virtuelles. Ceci passe par des accords avec les fournisseurs de terres rares (en veillant à la diversification des fournisseurs pour ne pas rester dépendants de … la Chine) mais également en développant d’avantage l’industrie du recyclage, deux sujets sur lesquels notre voisin allemand a une longueur d’avance.