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mercredi 23 juin 2010

Le Casque et la Plume : fiche de lecture

Je reproduis ci-dessous la fiche de lecture de l'ouvrage "Le Casque et la Plume" de l'allié Olivier Kempf, également publiée sur Alliance Géostratégique.

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Le colonel Olivier Kempf signe Le Casque et la Plume (Economica, 144 pages), recueil d'une vingtaine de « lettres de commandement » (sous-titre de l'ouvrage) thématiques adressées mensuellement entre septembre 2007 et juin 2009 à ses capitaines du 516° Régiment du Train.

En voici une courte fiche de lecture, qui je l'espère en fait ressortir l'esprit et les principaux traits marquants.

1 – En premier lieu, précisons que nous ne sommes en présence ni d'un manuel ni d'une liste d'ordres, mais plutôt d'un appel à lever la tête et réfléchir pour mieux voir « au-delà de la colline ». Attention, réflexion ne signifie pas verbiage abscons, décorrélé des réalités quotidiennes : non, l'objectif est clairement d'aider les destinataires des lettres à « grandir » et appréhender les différentes facettes du commandement au quotidien. Olivier Kempf en profite pour glisser de nombreux exemples tirés de sa propre expérience de commandant ou de commandé. Détail révélateur, les lettres sont transmises en début et non en fin de mois, signe que l'accent est mis sur la prospective, l'anticipation, et non le bilan. Sont donc évoqués des sujets comme la gestion des hommes, du temps, des priorités, de la discipline (à plusieurs reprises est explicitée la différence que l'auteur voit entre le « guerrier » et le « soldat »), des tâches administratives, des absences, de la vie en OPEX mais également les « conneries » de ses soldats, leur motivation, le rapport à la hiérarchie, à la mort, les passations de commandement ou même la toxicomanie.


2 – Ce qui saute au yeux, en lisant la liste ci-dessus mais plus encore le contenu des lettres, est que la dualité civil/militaire dépasse largement la technologie. Ainsi, de nombreux conseils dispensés par le colonel pourraient très bien figurer dans un ouvrage de « manad'gemen't » (voir ci-dessous pour la référence) ou d'efficacité personnelle. D'autant que le jargon militaire est utilisé avec une extrême parcimonie : au pire, le lecteur lambda aura parfois un peu de mal à ne pas se mélanger les pinceaux entre régiment, escadron, peloton...

Par exemple, ce qui est dit de la relation parfois ambivalente que chacun peut entretenir avec la messagerie électronique, levier de productivité mais aussi parfois esclavagiste informatique, rappelle les propos de David Allen, le créateur de la méthode Getting Things Done.


3 – Le rapport au civil, voilà bien un thème qui revient souvent au fil des différentes lettres, qu'il s'agisse d'une visite du ministre / du grand public (actions de communication et de « relations publiques », qui ne doivent pas être négligées car elle sont partie intégrante du métier militaire), de la réforme (nous sommes à l'époque des RGPP et du Livre Blanc) ou de la question de la bonne gestion de l'outil de défense. On retrouve là des réflexions reprises par Olivier Kempf sur son blog, touchant à la mesure de la « production » de l'armée. Mais plus encore, le lien entre commandement d'un côté et gestion ou « manad'gemen't » de l'autre. Car comme le souligne l'auteur dans la lettre justement nommée « Commander ou gérer ? » :


Autrefois, les entreprises civiles empruntaient nos formes d'organisation. Ce temps a vécu et nous avons cru devoir faire la réciproque.

Où il s'agit pour le commandant de bien garder à l'esprit que son « coeur de métier » n'est pas dans la « gestion des ressources humaines » ou les tâches administratives : l'obsession du quantitatif et du cadre formel qu'impose le système se fait au détriment du contact avec les hommes, qui comme la guerre elle-même relève principalement du subjectif. L'important est dans la discipline et la capacité d'initiative, d'ailleurs illustrée par une citation du général de Gaulle, à propos de Leclerc :


Il a obéi à tous mes ordres, même ceux que je ne lui avais pas donnés


4 – Commander, cela nécessite de disposer des moyens de prendre les bonnes décisions, et en premier lieu du bon niveau d'information. Aussi l'auteur consacre-t-il, dans sa lettre « Hiérarchie », de longs développements, et un coup de gueule, sur le « compte-rendu », outil capital dans la remontée de renseignements cruciaux, et pendant de l'exercice descendant de l'autorité. Je souhaiterais ici insister sur un point qui à mon sens n'est pas assez explicite : la différence entre « compte-rendu » et « journal » (« log » en anglais, comme celui que peut tenir un officier de permanence). Ce dernier est utilisé pour garder une trace de tous les évènements, à des fins de traçabilité, dans le cas d'un audit ou de la survenance d'un problème ultérieur. Il n'est pas un outil de décision en tant que tel, car il est bien trop riche en informations, d'importance variable, sans réelle indication de priorité. Le décideur y risque l'ennui, la perte de temps (qui est précieux) voire la noyade, un problème d'actualité à l'époque des technologies de l'information et du Network Centric Warfare.


5 – On l'a dit, l'objectif affiché est d'inciter les capitaines destinataires des lettres à la prise de recul par rapport à leur activité quotidienne de commandement. Le commandement, cela se fait sur le terrain ; alors que l'état-major, lui, est peut-être plus le lieu des réflexions de haut niveau sur la doctrine ou la stratégie. Olivier Kempf introduit çà et là des sujets que l'on a l'habitude de voir traités, par exemple, sur Alliance Géostratégique ou plus largement la blogosphère de défense/sécurité. On comprend la limite de l'exercice dans le cadre d'un tel ouvrage, même si l'on aimerait parfois quelques développements supplémentaires. Comme par exemple lorsque sont abordés les sujets de la place de la technologie et de la confrontation des volontés :


La technique reste asservie à l'homme, car c'est toujours lui qui est au centre du combat, lui l'acteur de la guerre, n'en déplaise aux futuristes qui imaginent un champ de bataille où il n'y aurait que des machines : malheureusement, la guerre est un affrontement de volontés, et seul l'homme possède cette volonté. La machine lui sera toujours subordonnée.

La « guerre » se réduit-elle au « champ de bataille » ?


En conclusion, un petit ouvrage qui se lit fort bien et assez vite, format épistolaire et style direct aidant. En termes de cible, il peut intéresser toute personne en situation de responsabilité, qu'il s'agisse de commandement militaire ou de « manad'gemen't » en entreprise. Et puis il est important d'aider les jeunes auteurs qui débutent !

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