A la Une

Mon Blog Défense

mercredi 17 novembre 2010

Quatre questions sur "la" contre-insurrection

En tant que citoyen averti, je suis avec intérêt le débat qui a suivi l'article d'Olivier Schmitt sur Le Monde (Du mauvais usage de l'histoire pour la contre-insurrection), notamment au travers des réponses de Stéphane Taillat (Du mauvais usage de la critique de la contre-insurrection), Elie Tenenbaum (Du bon usage de l'histoire pour la contre-insurrection) ou Florent de Saint-Victor (On ne s'improvise pas pourfendeur de la COIN).

Je recommande d'ailleurs à ce sujet la lecture de De quoi la contre-insurrection est-elle le nom ? de Georges-Henri Bricet des Vallons, introduction de l'ouvrage collectif Faut-il brûler la contre-insurrection ? qui revient justement sur la nécessité de prendre du recul par rapport à la volonté d'appliquer des recettes toutes faites issues d'expériences historiques (je simplifie, et je signale au passage que je reviendrai sur cet ouvrage que je suis en train de lire).



Ceci me fait me poser quatre questions sur la contre-insurrection (qui découlent peut-être en partie de ma connaissance imparfaite du sujet) :
  • On lit souvent que les aspects militaires ne doivent y jouer qu'un rôle réduit par rapport aux dimensions politiques, économiques, sociales et culturelles. Le général René Emilio Ponce, d'ailleurs cité par Bricet des Vallons dans l'article mentionné ci-dessus, dit ainsi "90% d'une contre-insurrection sont politiques, sociaux, économiques et idéologiques, et seulement 10% sont militaires". Alors comment se fait-il que l'écrasante majorité de ceux qui écrivent sur le sujet appartiennent au "monde militaire" (soit directement militaires, éventuellement spécialisés sur certaines sciences humaines, soit analystes/chercheurs dans le domaine) ? Est-ce parce que, tout de même, le fait militaire reste le point focal (notamment en phase de stabilisation prolongée), celui par l'intermédiaire duquel les autres sont rendus possibles (sachant que ce sont souvent les militaires qui sont au coeur de toutes les actions terrain) ? Ou alors y a-t-il un vrai déficit d'intérêt de la part des spécialistes hors du champ militaire pour le sujet ? Voire une réticence marquée vis-à-vis de la "militarisation" de leurs disciplines ? Que font les "militaires" pour y remédier ?

  • Il faut se garder d'essentialiser, quelle que soit la dimension étudiée, pour en tirer des leçons définitives mais forcément simplificatrices. Cependant, je vois peu de distinction dans les différents écrits que j'ai pu compulser, entre le traitement des COIN menées par des forces conventionnelles hors de leur territoire national (cas par exemple des guerres d'Irak et d'Afghanistan, même si dans ce dernier cas "on" tente d'afghaniser le conflit) et celles menées par un état sur son propre territoire... sachant que cette notion de "territoire" et de la souveraineté qui s'exerce sur lui est justement souvent au coeur du conflit irrégulier, entre guérilla enracinée localement et pouvoir central plus ou moins légitime. Et il faut bien entendu distinguer le cas de la France en Algérie et du Maroc face au Front Polisario, par exemple. Cependant, ne pas faire ce genre de distinction n'entraîne-t-il pas par ricochet une vision de la COIN très néocoloniale, étant menée par des forces occidentales sur des territoires africains ou asiatiques ?

  • On l'a vu plus haut, il n'est pas recevable d' "accuser" de façon simpliste les spécialistes et promoteurs de la COIN de vouloir appliquer bêtement des recettes de cuisine issues des expériences historiques d'Algérie, de Malaisie, du Kenya, de l'Irak ou du Vietnam. Cependant, je me demande si d'une manière générale, dans l'approche "systémique" et "holiste" qu'ont ses praticiens il est suffisamment tenu compte de l'hystérésis (propriété d'un système dont l'état à un instant donné dépend de son évolution antérieure et pas seulement de variables externes) que peut connaître le système constitué par le pays et la société dans laquelle ils mènent leurs actions. En l'espèce, comme le montre Stéphane Taillat dans son article Communautarisation, tribus et terrain humain (à lire également dans Faut-il brûler la contre-insurrection ?), l'approche rumsfeldienne a négligé (entre autres !) les dynamiques à l'oeuvre au sein de la société irakienne avant l'état initial constitué par l'invasion, se fondant sur des lignes de fractures caricaturales entre Sunnites et Chiites notamment. En bref, ne faut-il pas que l'histoire militaire de la COIN dans d'autres régions du monde aille plus à la rencontre de l'histoire (et de la sociologie, culture...) particulière du pays dans lequel elle est censé se dérouler ?

  • Enfin, suite là encore à la lecture de l'article Du mauvais usage de la critique de la contre-insurrection et de l'évocation qui est faite des différentes approches mises en oeuvre par les officiers français sur le terrain afghan (l’approche “agressive” de Nicolas Le Nen illustrée dans la bataille d’Alassay et l’opération “dîner en ville”, l’approche “indirecte” de Francis Chanson fondée sur la construction des routes comme élément central d’une manoeuvre politique globale, la “stratégie du Mikado” de Benoit Durieux consistant à séparer les insurgés les uns des autres), je me demande pourquoi celles-ci ne reçoivent pas plus d'attention de la part de nos médias. Est-ce dû au fait qu'il s'agit là de sujets trop techniques et complexes pour le grand public ? Et plus largement, comment s'inscrivent-elles dans la COIN que pratiquent les Américains ? Peut-on parler de COIN à la française ? Voire carrément de COIN française ? Influent-elles sur les réflexions des grands noms tels que Nagl, Kilcullen ou Petraeus ?

Partager cet article :

Facebook Twitter Technorati digg Delicious Yahoo Reddit Newsvine

2 commentaires:

F. de St V. a dit…

@ JGP

Je suis entrain de rédiger plusieurs pistes de réponses qui seront disponibles directement sur mon blog et d'ici demain matin. c'est une bonne manière de faire rebondir le débat. C'est avec beaucoup plaisir que je réfléchis sur tes questions totalement passionnantes et pertinentes.

JGP a dit…

You're more than welcome!

L'article de Stéphane T. dans Faut-il brûler la contre-insurrection ? amène certains éléments de réponse sur le premier bloc de question.